B.B., Jean-Luc et les paparazzis

Photo du film Paparazzi © DR

Capri, mai 1963. Tandis que Jean-Luc Godard filme Brigitte Bardot et Michel Piccoli pour Le Mépris, un jeune documentariste de 27 ans nommé Jacques Rozier capte les coulisses du tournage sous l’œil de trois paparazzis. Formidable témoignage sur un film qui a marqué le 7e Art, Paparazzi chronique également la naissance d’une profession honnie des stars de cinéma.

Comment est né ce court métrage ?

J’ai appris que Jean-Luc Godard, avec qui j’étais ami depuis la fin des années 1950, était sur le point de tourner un film en Italie avec Brigitte Bardot. Cette association était très surprenante car Jean-Luc représentait la partie la plus visible de la Nouvelle Vague et prenait des positions très catégoriques. L’idée m’est donc venue de proposer au service de culture française du Quay d’Orsay, avec qui je collaborais, la chronique du premier jour de tournage. J’ai appelé Jean-Luc, qui a accepté sous réserve que Brigitte Bardot donne son accord. Dans l’intervalle, un ami photographe m’a appris que Bardot était sans cesse poursuivie par des photographes dans les rues de Rome. J’ai décidé d’angler mon film sur ce phénomène.

Comment Bardot a-t-elle accueilli votre présence ?

Je l’ai rencontré le soir de mon arrivée à Rome, au cours d’une réception. J’étais un peu impressionné. Je lui ai expliqué que je voulais faire le paparazzi des paparazzis. J’ai obtenu son accord oral. J’ai pu tourner facilement, du côté de Godard comme du côté de Bardot. Elle entretenait un rapport ambigu à ces photographes. La légende courait que dans ce film, elle allait se baigner nue. À l’époque, pour un paparazzi, c’était de l’or en barre ! Brigitte était embêtée par cette présence continuelle et en même temps, on sentait que c’était indispensable pour elle car c’était une star. Ils venaient et se cachaient derrière les rochers. Quand c’était trop présent, elle pestait.

Comment vous êtes-vous fondu dans le décor ?
Nous étions une toute petite équipe. Un fournisseur allemand m’avait bricolé une petite caméra qui pouvait se tenir à la main. On tournait en 35 mm, avec cette caméra plus légère, et un preneur de son. Raoul Coutard, le directeur de la photographie du Mépris, s’était étonné que je puisse tourner synchrone, car ça ne se faisait pas à l’époque. Sur le tournage, il y avait Fritz Lang, qui apparaît dans une scène du film. Je filmais donc Godard, qui filmait Fritz Lang, qui filmait une version moderne de l’Odyssée !

Vous prenez le parti de Bardot et de Godard, mais aussi de l’équipe des paparazzis…

Je voulais faire un film inspiré de la réalité. Je tournais avec la complicité de Godard, de Bardot, mais aussi des paparazzis, qui logeaient dans le même hôtel que moi. C’était des photographes qui avaient besoin de gagner leur vie. J’assistais à la naissance du système médiatique. Même entre eux, il existait une petite tension. Le mot « paparazzi » était encore inconnu en France. Il avait été inventé par Federico Fellini, qui avait un ami qui s’appelait M. Paparazzo et qui était photographe. Il s’était mis à appeler comme ça ces chasseurs de stars.