Sofia, le regard de Meryem Benm’Barek

Photo du film Sofia © DR

 

Sofia de Meryem Benm’Barek lève le voile sur un sujet délicat : la maternité hors mariage dans son pays, le Maroc. Après plusieurs courts-métrages à succès, la réalisatrice concourt pour la Caméra d’or avec ce premier long métrage.

Racontez-nous la genèse de votre film.

Lorsque j’étais adolescente, ma mère m’avait raconté l’histoire troublante d’une jeune fille qui avait été recueillie par mes grands-parents. Elle avait 17 ans, et ma mère était, à cette époque, à peine plus âgée. Elle avait découvert un soir, tout à fait par hasard, que celle-ci était enceinte et sur le point d’accoucher. Un mariage a donc dû être organisé dans les plus brefs délais. Les grossesses hors mariage sont très courantes au Maroc, et tous les marocains sont aux faits des conséquences sociales et juridiques pour les mères célibataires.

Mon histoire est née tout naturellement, en me demandant comment un drame comme celui-ci pouvait être le révélateur du fonctionnement d’une société dans tous ses aspects.

L’atmosphère du tournage ?

Malgré la fatigue et les aléas qu’impliquent toujours un film à petit budget, nous étions tous extrêmement bienveillants les uns avec les autres. Il y avait un investissement humain et artistique de  taille de la part de l’ensemble de l‘équipe du fait qu’ils retrouvaient dans le film un portrait réaliste de ce qu’est la société marocaine.

Une anecdote de plateau ?

L’anecdote la plus marquante, c’est le jour où l’actrice qui interprétait le rôle de la sage-femme et qui avait « accouché » Sofia la veille, s’est retrouvée à devoir accoucher à la hâte, et cette fois-ci pour de vrai, une femme qui donnait naissance dans un taxi garé devant l’hôpital ! Au delà du fait que cet événement venait illustrer mes propos dans le film, il y avait surtout quelque chose de très puissant, spirituel et inexplicable qui mêlait tout à coup la réalité à la fiction que nous étions en train de fabriquer ensemble.

Quelques mots sur vos interprètes ?

Pour Sofia, c’était assez simple, je connaissais Maha Alemi, et j’ai donc écrit pendant un an en l’ayant en tête. Elle portait sur son visage ce secret qu’elle devait cacher dans le film.  Je ne voulais pas non plus un physique sage pour ce personnage. Je cherchais vraiment un visage qui pouvait incarner une marocaine issue de la classe moyenne comme on en voit tous les jours dans la rue.

Pour Léna (Sarah Perles), c’était moins évident. Il fallait trouver une jeune fille dont le physique serait en totale opposition avec sa cousine, un physique plus lisse et un regard ingénu, pour souligner la naïveté et l’idéalisme du personnage.

Concernant Omar (Hamza Khafif), je l’ai trouvé assez vite. Il avait cette tristesse dans les yeux que je trouvais intéressante. Pendant l’écriture je me racontais toutes sortes de choses sur son personnage. J’imaginais qu’il était un artiste empêché et malheureux. Lorsque j’ai appris que Hamza écrivait de la poésie et qu’il ressemblait si fort dans son parcours à Omar, j’ai décidé de repartir en écriture et de préciser les choses avec lui.

Qu’avez-vous appris durant la réalisation de ce film ?

La phase de montage m’a appris à faire face à mes erreurs de manière assez radicale et c’est là que j’ai compris que l’on accepte beaucoup plus facilement les erreurs lorsqu’elles viennent de nous. Donc à l’avenir, j’écouterai mon intuition à chaque instant.

Vos sources d’influence ?

Les contemporains qui m’inspirent pour leur exigence et  leur audace sont Mungiu, Farhadi, Ceylan, Zvagintsev pour ne citer qu’eux. Ils ont cette chose en commun qu’est le cinéma âpre et sans concession. Je trouve leur cinéma impactant.