Marcher sur l’eau : rencontre avec Aïssa Maïga

Photo du film Marcher sur l'eau © Rousslan Dion, Bonne Pioche Cinéma, 2021

 

Cette eau, si profonde sous nos pieds, l’espoir de survie. Aïssa Maïga nous emmène au Niger dans la région autrefois prospère mais désormais aride de l’Azawak. Au fil de cinq voyages dans le village de Tatiste, elle suit le quotidien de la jeune Houlaye et de ses proches, une existence âpre, bouleversée par la sécheresse. Ces heures de marche pour trouver de l’eau, l’attente d’un forage, l’école pour s’émanciper… Marcher sur l’eau nous ouvre les yeux avec poésie sur une réalité peu décrite. Rencontre avec la réalisatrice en amont de la projection du film en Séance Spéciale « Cinéma pour le climat ».

Marcher sur l’eau met des visages sur les phénomènes que sont le réchauffement climatique, la sécheresse et les déplacements de population. Comment avez-vous abordé cet exercice ? 

C’était très important d’être au plus près des personnes et de leur vécu. Je ne pouvais pas imaginer que ce film soit extérieur, avec une voix off par exemple. Ma chance, c’est d’avoir rencontré des personnes aussi gracieuses qui ont donné leur confiance. Il faut savoir qu’à l’origine, c’est Guy Lagache qui devait faire ce film. Il a travaillé avec Ariane Kirtley, la présidente de l’ONG Amman Imman. Ils ont rencontré d’abord Souri, qui est irrésistible. Puis Guy Lagache a dû quitter le tournage pour des raisons professionnelles et on m’a proposé de reprendre le projet. J’ai choisi de travailler avec Ariane Kirtley qui avait la connaissance de cette région du Niger que je ne connaissais pas. Je lui ai dit :

« Je veux raconter l’histoire d’une famille où tout se passe bien, qui est bouleversée par le réchauffement climatique et le manque d’eau. »

Dans cette famille, il y a Houlaye, une adolescente que vous suivez en particulier, très touchante, en toute pudeur.

Quand je suis arrivée et que j’ai vu Houlaye, elle était très timide. Dans sa salle de classe, j’ai sorti mon téléphone, j’ai filmé discrètement et j’ai trouvé qu’elle avait un visage extrêmement cinégénique, avec beaucoup de profondeur. L’idée était aussi d’avoir une jeune femme qui va à l’école. Ça fait partie de mon histoire. 

Le film évoque aussi une réalité peu connue : les femmes chez les Peuls Wodaabe, qui s’absentent des mois durant pour travailler à l’étranger et rentrer avec des revenus. Qu’est-ce que la sécheresse ajoute à leur sort ?

C’était une raison du choix de cette ethnie : les femmes y jouent un rôle économique très important. Je voulais montrer des femmes actives, indépendantes et qui sont exposées à cet exil. C’était une façon de montrer comment cette question du réchauffement climatique influe sur la question migratoire. Dans un passé assez récent, la saison des pluies durait plusieurs mois contre trois mois aujourd’hui. Les mares et les puits étaient remplis une grande partie de l’année, les familles restaient réunies et n’avaient pas besoin de se séparer pendant des mois. C’étaient des ethnies riches qui disposaient de troupeaux très importants. Ces gens n’étaient pas dans le besoin il y a une ou deux générations.

L’espoir, c’est cette eau sous-terraine, mais n’y a-t-il pas aussi quelque chose à faire avec les jeunes générations ?

Les parents ont déjà repensé leur mode de vie. Les sortes de yourtes dans lesquelles ils vivent, c’est quelque chose qui n’existait pas auparavant. Ce sont des nomades en voie de sédentarisation. Ils ont ainsi la possibilité de scolariser leurs enfants plus simplement et ils y tiennent. Ils misent sur l’éducation. L’apprentissage est une question qui se pose aussi pour certains adultes. C’étaient des éleveurs, ils se sédentarisent et ils vont devoir développer un mode d’agriculture très éloigné du leur. Ça fait partie du hors-champ du film.

En tout cas, le forage ne résout pas entièrement la problématique du manque d’eau.

Ça permet à des enfants qui faisaient des kilomètres de ne plus le faire et d’aller à l’école. Ça leur permet aussi de boire une eau claire, de développer du petit commerce autour du village, le forage en lui-même peut être une source de revenus. Cela étant, un forage n’est pas une solution durable parce que ça vient pomper les réserves d’eau.

« Tout le monde se bat pour l’eau », dit l’un des villageois.

C’est une question de paix, de flux migratoires, de santé, de survie quotidienne et d’éducation. Tout découle de la question de l’eau.

Puis l’eau surgit et tout revit, les villageois, la faune et la flore. Comment avez-vous capté ce moment fugace et si riche ?

J’étais sous pression et j’avais l’impression de faire un blockbuster héroïque. L’eau n’allait jaillir qu’une seule fois, c’est un phénomène géologique qu’on ne contrôle pas. Il y avait beaucoup d’enfants, des animaux… Il fallait pouvoir tout capter. Je dois tout à Rousslan Dion, mon chef opérateur qui était vraiment mon binôme dans ce film. C’était un moment intense.