Augure, le regard de Baloji

Photo du film AUGURE de Baloji

Avec Augure, dévoilé à Un Certain Regard, le rappeur et désormais réalisateur belgo-congolais Baloji a remporté le Prix de la nouvelle voix à Cannes en 2023 et représente la Belgique aux Oscars 2024. Une double reconnaissance pour ce premier film original dans sa forme comme dans son sujet qui interroge l’assignation à travers l’histoire de quatre personnages stigmatisés pour sorcellerie. A découvrir en salle en France le 29 novembre.

Quel est le point de départ de votre film ?

En décembre 2018, j’ai perdu mon père. Je pense que je me souviendrai toute ma vie de l’état brumeux dans lequel j’étais le lendemain, encore groggy par la logorrhée des fausses larmes cathartiques des pleureuses dépêchées par la famille pour accompagner la nuit de deuil. C’est un moment violent, foireux, chaotique mais libérateur. Je me disais : « Elles ne peuvent pas pleurer à ma place ». Puis, c’est exactement ce qu’elles ont fait, et plus encore : elles m’ont permis de pleurer avec elles et que nos larmes se confondent sans qu’elles ne trahissent ma pudeur, Elles pleurent et je pleure en réaction, je m’y autorise et cela libère comme une poussée de fièvre. Je me considère athée mais incontestablement, le chant de l’oraison funèbre balaie celui des croyances et des religions. C’était le point de départ de Augure, dont j’ai écrit la première version dans la foulée, en huit semaines, isolé du monde dans cet état fiévreux.

Quelques mots sur vos interprètes ?

Yves Marina Gnahoua est une actrice fabuleuse, elle vient du théâtre et porte le film par sa présence magnétique, son énergie sur le plateau est contagieuse. Yves-Mmarina est Ivorienne. Nous avons énormément répété avec elle pour son accent et ses tics de langages, qu’elle a réussi à gommer. L’idée n’était pas de la rendre congolaise, mais qu’elle trouve sa place, comme Eliane Umuhire, qui est Rwandaise. Sachant les tensions politiques entre nos deux pays, je pense que c’est une belle réussite d’avoir une comédienne rwandaise dans un film qui se déroule en République démocratique du Congo. C’est comme une façon de nous distinguer de nos dirigeants. Marc Zinga et Lucie Debay forment une espèce de couple bicéphale à l’écran, où l’un termine les phrases de l’autre. Ce sont les deux comédiens les plus chevronnés du projet. Ils ont pris des cours de lingala pour mieux désinhiber les comédiens locaux dans le but de faire grandir les scènes collectivement.

Que vous a appris la réalisation de ce film ?

Avant le tournage du film, j’ai réalisé une bande originale en quatre albums écrits du point de vue des quatre personnages principaux du film. Cet exercice a changé la façon dont j’appréhende la question du point de vue dans l’écriture.  Ce fut un formidable exercice d’empathie, surtout pour les disques des personnages féminins. Les musiques de cette BO sont au final peu présentes dans le film, mais elles ont servi « d’outil-béquille » pour les acteurs dans leurs intentions de jeu. Je fais de la synesthésie : association sensorielle, perception de couleurs en réponse à des sons. Elles m’ont aidé dans les choix des décors, les costumes et de façon générale dans la mise en scène et mon travail avec le chef opérateur. Je crois que ce type d’exercice va m’accompagner pour mes prochains projets, comme le besoin de mieux soigner les entrées et sorties de champs des acteurs pour mieux articuler le film. Il faut laisser les acteurs occuper l’espace.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir réalisateur ?

Je suis fan inconditionnel de Barry Jenkins, de Steve McQueen, des frères Safdie, de Sean Baker et Wes Anderson. Je trouve aussi des correspondances à ma proposition de cinéma de réalisme magique chez les cinéastes mexicains et sud-américains (Alexandre Landes, Alejandro González Iñárritu) et les espagnols comme Rodrigo Sorogoyen et Pedro Almodóvar. Je suis en amour devant l’inventivité de la mise en scène de cinéastes comme Park Chan-Wook mais mon enfance à Liège avec la communauté Sicilienne a surtout fait de moi un fan absolu de cinéma italien : Antonioni, Fellini et Pasolini, car ils sont les maîtres du surréalisme.