Écrire le Cinéma de Demain à Cannes

Cinéma de Demain © Joachim Tournebize / FDC

Révéler des talents et les voir évoluer. Film après film, des cinéastes posent les jalons de leur carrière. Cette année, ils sont quatre en Compétition à avoir montré leurs tout premiers projets au Festival, bien avant de passer maîtres dans leur art. Des modèles pour la génération émergeante à Cannes, celle du Cinéma de Demain.

Cérémonie du Palmarès, 1984. L’acteur François Périer appelle le lauréat du meilleur premier film. « La Caméra d’or est décernée à… Stranger Than Paradise. » Timides applaudissements. Un cinéaste de 30 ans à la chevelure grise et fournie monte sur scène, il ne prononce pas un mot. Le Festival de Cannes vient d’assister à la naissance d’un grand réalisateur, un certain Jim Jarmusch. Fin de la séquence.

Le film, pour autant, ne manque pas d’être acclamé par le monde du cinéma. En première ligne, Wim Wenders, tout juste récompensé d’une Palme d’or pour Paris, Texas. Au journaliste qui interroge le cinéaste allemand sur le badge blanc posé sur sa veste, il répond : « J’essaie de faire de la publicité pour mon film favori. Vous n’avez pas vu Stranger Than Paradise ? C’est un film américain comme il n’y en a pas eu depuis longtemps. » La suite pour Jarmusch sera marquée par une Palme d’or du Court Métrage pour Coffee and Cigarettes en 1993, huit présences en Compétition et un Grand Prix pour Broken Flowers en 2005, en près de quarante ans de carrière. De quoi laisser rêveur tout apprenti cinéaste.

DE L’OR DÈS L’ÉCLOSION

Depuis 1978, la Caméra d’or récompense le meilleur premier film présenté dans les sections cannoises. Ainsi a été mise sous les projecteurs toute une diversité de cultures cinématographiques, allant d’Ildikó Enyedi en 1989, l’actuelle présidente du Jury des Courts Métrages et de La Cinef, à Lukas Dhont en 2018, lauréat d’un Grand Prix pour Close à peine quatre ans plus tard.

Aujourd’hui, l’un des anciens lauréats de ce prix entre en Compétition. Il s’agit de Tran Anh Hung avec La Passion de Dodin Bouffant, trente ans après L’Odeur de la papaye verte. Jessica Hausner, sélectionnée au même titre que le réalisateur franco vietnamien, s’est aussi révélée au Festival bien avant Club Zero (2023). Il y a vingt-cinq ans, elle recevait une Mention spéciale du Jury de la Cinef pour Inter-View, court métrage réalisé pendant ses études.

À L’ÉCOLE CANNOISE

Depuis vingt-six ans, La Cinef présente une sélection de courts et moyens métrages d’écoles de cinéma. Parmi ses lauréats : Emmanuelle Bercot (1999), Kornel Mundruczó (2004), Juho Kuosmanen (2008) et Kamal Lazraq (2011), aujourd’hui reconnus, tous étant revenus au Festival avec leurs longs métrages. De tels destins pourraient bien attendre les cinéastes récompensés cette année. Le Jury de la Cinef présidé par Ildikó Enyedi a annoncé son Palmarès jeudi 25 mai, 100 % féminin : le Troisième Prix a été décerné à la Marocaine Zineb Wakrim pour Ayyur (Lune) et le Deuxième Prix à la Sudcoréenne Hwang Hyein pour Hole. Quant au Premier Prix, le Jury a tenu à souligner le geste audacieux et innovant, la beauté de l’écriture du travail de la Danoise Marlene Emilie Lyngstad, auteure de Norwegian Offspring. Bien qu’un art à part entière, le court métrage est considéré par de nombreux cinéastes comme un chemin vers le long, bien utile pour convaincre les producteurs.

ACCOMPAGNER L’ÉCRITURE

Quand les projecteurs cannois s’éteignent, le Festival ne s’arrête pas pour autant d’accompagner le Cinéma de Demain avec La Résidence. Chaque année, elle accueille une douzaine de jeunes réalisateurs à Paris et les accompagne dans l’écriture de leur premier ou deuxième long métrage. C’est là que Wang Bing a développé À l’ouest des rails. Si le film a été montré à un public très restreint en Chine, la Résidence aura permis d’accompagner le documentaire dans le monde entier. Par la suite, le réalisateur chinois s’est imposé comme maître de l’observation, invité à Cannes à quatre reprises, dont deux cette année pour Jeunesse (Le Printemps) en Compétition et Man in Black en Séance Spéciale.

À voir la dernière session de la Résidence, il y a de quoi être confiant quant à l’avenir du cinéma. Nadav Lapid salue le travail qu’il a pu y découvrir en tant membre du jury de la session de pitchs organisée par le CNC. Le réalisateur israélien, lui-même passé par la Résidence et la Compétition de la Cinef, s’est réjoui : « J’ai le sentiment qu’il pourrait bien y avoir des trésors dans cette Résidence. » Nul doute que l’avenir de ces cinéastes sera suivi à la loupe et, qui sait, s’écrira demain au Festival de Cannes.