Eureka, un voyage spirituel signé Lisandro Alonso
Révélé en 2001 au Certain Regard avec La Libertad , le cinéaste argentin Lisandro Alonso s’est depuis imposé comme l’une des figures majeure du Nouveau cinéma argentin. Dans Eureka, présenté à Cannes Première en mai dernier et à découvrir en salle à partir du 28 février, on retrouve sa vision singulière mêlée de poésie et de philosophie. Un sixième long métrage inclassable, aux allures de récit initiatique, de western et de fable spirituelle, pour lequel Lisandro Alonso s’est entouré d’acteurs non professionnels pour jouer aux côtés de Viggo Mortensen, Chiara Mastroianni et Maria Medeiros. Entretien avec le réalisateur.
Quelle est la genèse de votre projet ?
L’idée m’est venue il y a environ neuf ans, en achevant mon précédent film, Jauja. Je souhaitais continuer de travailler avec certaines images d’Indiens un peu fantomatiques qui figuraient dans ce film. En cherchant à établir des ponts entre les films que je voyais, les westerns notamment, j’ai compris que je voulais explorer le thème de la culture autochtone, faire un travail sur les indiens natifs. Je dis « indiens », mais aux États-Unis cela peut être mal perçu. Pour moi, ce sont des descendants d’Indiens qui sont devenus des peuples, des pauvres, avec leurs différences en fonction de l’endroit où ils vivent dans le monde. Aux États-Unis surtout, ils sont marginalisés. J’ai commencé à réfléchir à la manière dont un film pourrait refléter cela. Le film est un peu abstrait, il n’a pas une narration très conventionnelle. Il passe d’un lieu à un autre, d’un temps à un espace, donc je ne pourrais pas vraiment le résumer.
Peut-on dire que son objectif est de comparer les communautés autochtones d’Amérique du Nord et d’Amérique Centrale et du Sud ?
Oui, c’est ça. Et de voir comment certaines ont déjà été représentées au cinéma et comment elles vivent aujourd’hui. Le film se déroule en trois temps : il y a d’abord un cadre cinématographique graphique, ensuite nous passons au temps présent dans le Dakota du Sud et enfin, dans les années 70 au milieu d’une montagne ou d’une jungle. La comparaison est faite entre la vie des autochtones d’aujourd’hui et celle de ceux qui n’ont pas encore été affectés ou soumis par les États politiques et économiques.
« Le film n’a pas beaucoup de messages, chaque spectateur peut y trouver sa propre interprétation. »
Où avez-vous filmé ? Quelles communautés ?
En Amérique du Nord, et sur les conseils de Viggo Mortensen, j’ai tourné dans une Réserve indienne qui s’appelle Pine Ridge dans le Dakota du sud. C’est l’une des réserves les plus connues. J’ai également tourné au Mexique, à Oaxaca, auprès d’une communauté de Chatinos. Ils parlent une langue très particulière que seuls quelques-uns comprennent. Même si toute cette partie du film est fictionnelle, ils y parlent leur langue, le Chatino. Et puis, la partie que j’ai tournée en Amérique du Sud est supposée se dérouler dans une jungle, un petit endroit incertain, près du Brésil et des pays périphériques. Nous avons également posé nos caméras au Portugal et en Espagne, à Almería, dans des décors de westerns, ceux de Sergio Leone.
Qu’y a-t-il à apprendre de ce film ?
Le film n’a pas beaucoup de messages. Plutôt des conclusions incertaines, et chaque spectateur peut y trouver sa propre interprétation. Il y a différentes lectures possibles. C’est aussi mon film le plus complexe, celui qui m’a coûté le plus d’énergie: deux pandémies, des équipes techniques changeantes dans chaque pays (quatre pays différents), des remplacements d’acteurs. J’ai connu des tempêtes, des températures de – 30°c aux États-Unis… Compliqué ! Mais c’’est aussi le film qui m’a enseigné le plus de choses. J’ai appris à connaître les Indiens Chatinos, j’ai travaillé avec des acteurs professionnels et non professionnels géniaux (dont certains n’étaient jamais allés au cinéma), et je me suis beaucoup amusé à tourner dans les studios d’Almería !