Promis le ciel, le regard de Erige Sehiri
Un Certain Regard 2025 s’ouvre avec Promis le ciel, le troisième long métrage de Erige Sehiri. Le film suit le destin de trois femmes, une pasteure, une étudiante et une mère en exil, qui voient leur cohabitation basculer lorsqu’elles accueillent la petite Kenza, 4 ans, rescapée d’un naufrage.
Racontez-nous la genèse de votre film.
L’une des principales motivations, c’était la manière dont, en Tunisie, on désigne les personnes venues de Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Mali ou du Congo, comme des “Africains”, oubliant que nous, Tunisiens, faisons aussi partie de ce continent. J’ai voulu inverser cette perspective et regarder comment ils perçoivent la Tunisie. J’ai aussi voulu aborder la migration autrement. Trop souvent, elle est racontée uniquement à travers le prisme du départ vers l’Europe. Or, en réalité, près de 80 % des migrations ont lieu à l’intérieur du continent africain. J’ai choisi de raconter cette réalité à travers des femmes issues de différentes classes sociales, dans toute leur complexité.
L’atmosphère du tournage ? Une anecdote de plateau ?
La frontière entre réalité et fiction était constamment floue sur le tournage. La vie s’invitait sans cesse dans la mise en scène. Un jour, une bagarre a éclaté dans la rue entre des enfants congolais et tunisiens, un événement brut qui nous a inspiré une scène que nous avons intégrée au film pendant le tournage. À l’inverse, certaines séquences écrites dans le scénario se sont soudain matérialisées dans le réel, comme l’arrestation d’un pasteur, survenue alors même que nous devions tourner une scène similaire.
Mais ce fut surtout un tournage vivant où chacun a pu s’exprimer. Le décor principal, un vrai lieu de culte, est vite devenu un espace de parole, pour la communauté ivoirienne et aussi pour certains membres de l’équipe qui ont livré leur témoignage. Ce furent des moments émouvants et marquants.
Quelques mots sur vos interprètes ?
Je souhaitais confier le rôle de Marie à une vraie femme pasteure que je connaissais mais sa fonction la poussait à donner une image parfaite de ce qu’elle faisait. Pour plus de liberté, j’ai préféré confier ce rôle à une comédienne, quelqu’un de charismatique et d’engagé. J’ai pensé à Aïssa Maïga. Grâce à son interprétation, j’ai pu en faire un personnage animé par la foi mais moderne.
Que vous a appris la réalisation de ce film ?
Que mélanger acteurs professionnels et des acteurs non professionnels apporte beaucoup aux uns comme aux autres. Et que j’ai plus que jamais besoin que mes films apportent quelque chose à ceux qui y participent.
Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre film ?
J’aimerais qu’on se souvienne du portrait de ces femmes et hommes, de leurs visages, de leur énergie. Et qu’une question demeure : que devient cette génération d’enfants rescapés, orphelins, dont les parents ont tout risqué pour leur offrir un avenir meilleur ? Qui en porte désormais la responsabilité : le pays où ils ont survécu ou la communauté qu’ils ont quittée ?