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Cannes 2023 : Interview exclusive du Délégué Général Thierry Frémaux pour Variety.

Thierry Frémaux © Jean-Louis Hupe / Festival de Cannes

Le Festival de Cannes peut-il surpasser l’édition 2022 qui avait présenté trois films nommés aux Oscars, Top Gun : MaverickSans Filtre et Elvis en avant-première ? Le Délégué Général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, l’espère. Dans sa première interview donnée à propos de la 76e édition, il se confie à Variety sur ses efforts pour programmer une nouvelle édition marquante, sur ses tentatives, restées infructueuses cette année, de trouver une Présidente du Jury et sur ses espoirs d’attirer à nouveau des films indépendants américains prestigieux ainsi que des films de studios hollywoodiens, après avoir prouvé, une fois de plus l’année dernière, que Cannes peut être un solide tremplin pour la saison des récompenses. Certaines choses ne changent pas cependant, comme Netflix qui ne prévoit pas de revenir au Festival. D’autres plateformes, comme Apple TV+, sont attendues sur la Croisette avec notamment le nouveau film de Martin Scorsese Killers of the Flower Moon. Du côté des partenariats, Cannes travaillera avec TikTok tout en restant vigilant sur les liens politiques du réseau social. La Sélection officielle sera dévoilée mi-avril à Paris. 

L’année dernière à la même époque vous étiez débordé. Comment ça se passe cette année ?

Je suis toujours débordé à cette époque de l’année ! Le processus de sélection bat son plein et j’ai la chance d’avoir une équipe formidable avec Christian Jeune, responsable du Département Film et Stéphanie Lamome qui nous a rejoint en tant que conseillère artistique. Depuis deux ans, il fallait absorber un surplus de production lié au confinement, pour des films qui n’étaient pas sortis en salles. Le Festival a voulu s’ouvrir à plus de films afin de les aider à exister. C’est pourquoi, en 2021 et en 2022, la sélection était plus abondante. C’était un choix. Mais en 2023, nous souhaitons revenir aux chiffres traditionnels, afin d’offrir aux films les meilleures conditions de lancement.

Comment avez-vous navigué durant les trois dernières années de pandémie ?

On est très fiers de la façon dont on a traversé la pandémie. Cannes 2020 n’a pas eu lieu mais nous avons aidé les films par l’attribution d’un « label Cannes ». Cela nous a permis de mesurer la force de notre impact. On n’a pas voulu faire du virtuel parce qu’un festival, c’est un rassemblement humain. Rien ne remplace la réception « physique » d’un film, la clameur, les humeurs, les applaudissements, le travail de la presse.

A ce sujet, je souhaiterais d’ailleurs saluer les critiques sans qui Cannes ne serait pas Cannes. D’abord, la presse a beaucoup soutenu le Festival sur les trois dernières années. Ensuite, une critique en bonne santé signifie que le cinéma est en bonne santé. C’est la critique qui maintient le niveau d’exigence. Nous sommes à ses côtés, nous voulons améliorer l’accueil qui lui est fait, améliorer le travail des attachés de presse par exemple. On réfléchit à un espace dédié aux interviews dans le Palais des Festivals.

Il faut que les films, les œuvres soient vus sur grand écran et découverts tous ensemble. Pendant le confinement, nous sommes restés proches des producteurs et des cinéastes. En 2021, le Festival a eu lieu en juillet et c’est, je crois, un souvenir magnifique pour tout le monde !

Et l’an dernier, en 2022, ce fut une édition forte par les films, par le marché et par l’atmosphère générale. Parce que nous nous retrouvions tous, nous retrouvions « notre » Cannes, porté par la conviction collective de l’importance d’un festival. On a retrouvé les touristes, les promeneurs de la Croisette. Et après le Majestic et le Martinez, le Grand Hôtel et surtout le Carlton, qui retrouve un visage somptueux, reviennent totalement rénovés.

Donc Cannes n’a pas vocation à agrandir sa sélection davantage ?

Le nombre de films en compétition ou à Un Certain Regard est le même. En 2021 et 2022, il y a eu davantage de séances spéciales et de documentaires mais nous allons réduire ce type de programmation. On a entendu que Cannes veut tout prendre pour que les autres festivals en aient moins. C’est ridicule. Nous respectons les trois moments d’une saison : l’hiver avec Berlin, Sundance, Rotterdam ; le printemps avec Cannes ; l’automne avec Telluride, Venise, Toronto et San Sebastian. Ils sont importants. Cannes travaille en parfaite harmonie avec San Sébastian, Telluride et Toronto qui peuvent sélectionner des films présentés en mai sur la Croisette.

Quels sont vos rapports avec Venise ? Il parait qu’Alberto Barbera va aux U.S. de plus en plus tôt dans l’année…

J’ai depuis longtemps des rapports de grande amitié avec Alberto Barbera et Roberto Cicutto et les liens historiques de Cannes et Venise sont connus. Les situations de concurrence ont toujours existé, d’autant que Venise est, au début de l’automne, idéalement placé.

Cannes Première a eu beaucoup de succès, vous allez conserver cette section ?

Cannes Première est une réussite et prouve que le Festival peut encore évoluer. C’est une « mini-section » qui nous permet de montrer les films de cinéastes confirmés en dehors de la compétition et d’en faire un lancement spectaculaire. Les films « La Nuit du 12 » de Dominik Moll ou encore « As Bestas » de Rodrigo Sorogoyen en ont largement profité. En plus les films sont projetés en salle Debussy, la salle préférée de Jean-Luc Godard, dont j’ai plaisir à citer le nom.

Cannes Première a imposé sa logique. L’expérience est positive, elle sera poursuivie.

Quelles sont vos perspectives pour Un Certain Regard ?

Plus que jamais, Un Certain Regard est avant tout une section destinée au jeune cinéma ou au cinéma novateur, expérimental. Il se positionne sur la découverte et la mise en lumière de cinéastes qui feront le cinéma de demain. La sélection 2022 fut un très bon cru. Elle a présenté le travail de 11 réalisatrices et 11 réalisateurs, avec des films qui ont rencontré un très bon accueil critique et un écho international comme « War Pony », du duo Riley Keough et Gina Gammell, qui a reçu la Caméra d’or, « Plan 75 » de la réalisatrice japonaise Chie Hayakawa, « Les Pires » de Lise Akoka et Romane Guéret, « Joyland », premier film du cinéaste pakistanais Saim Sadiq sur la transidentité, censuré dans son pays mais qui a été retenu dans la shortlist pour l’Oscar du Meilleur Film International en 2023 tout comme « Le Bleu du Caftan » de la cinéaste marocaine Maryam Touzani ou encore « Mediterranean Fever » de la cinéaste palestinienne Maha Haj pour ne citer qu’eux.

On est loin des abonnés…

Il n’y a pas d’abonnés à Cannes et le Festival a toujours soutenu la jeune création. Une sélection a besoin de vitalité créative en se nourrissant du point de vue de toutes les générations. L’ensemble des initiatives destinées à soutenir et accompagner la jeune création ont été regroupées sous une seule et même bannière, celle du « Cinéma de Demain » : la Compétition des courts-métrages, la Caméra d’or, la sélection des films d’écoles de la Cinef, la Résidence d’écriture du Festival de Cannes ou encore le programme « 3 jours à Cannes » permettant à des jeunes cinéphiles du monde entier de découvrir et vivre le Festival de Cannes. C’est l’une des innovations dont je suis le plus fier.

C’était comment de pouvoir voyager à nouveau cette année, notamment en Asie ? Est-ce que ça rend le processus de sélection plus agréable ?

De ce point de vue, nos métiers ont changé. Les voyages ne sont plus utilisés pour voir des films, qui circulent plus facilement grâce au digital, mais pour rencontrer les artistes, les professionnels chez eux. Aller en Asie, en Amérique Latine, en Afrique, dans les pays européens. Et évidemment aux Etats-Unis. Voir les gens où ils vivent, où ils travaillent.

Cannes insiste toujours sur sa vocation universaliste…

Oui : Cannes n’est pas un festival français, c’est un festival international en France. Pendant quinze jours, c’’est un territoire planétaire protégé qui place le cinéma au cœur du monde. Je suis heureux de continuer dans cette tradition quand on voit, après l’Asie, l’émergence d’un nouveau cinéma d’Afrique du Nord qui va de l’Egypte au Maroc avec une génération qui compte beaucoup de réalisatrices de talent. L’émergence, aussi, d’un cinéma subsaharien, un cinéma d’Afrique noire dont Mati Diop avec « Atlantique » a été l’emblème en gagnant le Grand Prix.

Sur la Croisette, on voit vraiment des films du monde entier…

Le cinéma raconte l’histoire du monde et il faut que Cannes raconte l’histoire de tout le monde, et pas seulement celle du monde occidental, comme il y a 50 ans. Jadis, le cinéma asiatique se résumait au Japon et depuis les années 2000, la Corée, Singapour, la Thaïlande ou la Chine ont surgi. En Europe de l’Est, ce fut longtemps la Pologne (magnifique souvenir de Skolimowski l’année dernière), c’est maintenant la Hongrie, la Roumanie, avec l’émergence d’une génération formidable. L’Europe du Nord a son mot à dire aussi, et de quelle manière ! Avec Ruben Ostlund et Joachim Trier, sans compter les Danois, les Islandais. Et Cannes est le théâtre de cette universalisation et pas seulement en compétition car ces films sont dans les sélections d’Un certain regard, des courts métrages, de la Cinef etc.

Le cinéma mondial a changé ?

Oui, et il continue à s’élargir. Et il ne faut pas oublier le cinéma espagnol, mexicain, anglais, allemand ou italien. On dit que le cinéma italien est à la poursuite de sa gloire passée. Je trouve que sa gloire contemporaine est formidable ! Prenons simplement l’exemple d’Alice Rohrwacher qui avait présenté « The Wonders » et « Happy as Lazzaro » en Compétition et qui est revenue l’année dernière avec le court métrage « Le Pupille » qui a, après Cannes, été nommé aux Oscars.

Il se passe aussi des choses du côté de la péninsule du Golfe Persique.

Comme on a pu l’observer il y a quelques années pour le Liban, la Palestine ou Israël, il y a dans le Golfe Persique une belle génération de professionnels et d’artistes. A Dubaï, au Qatar, à Abou Dabi, ainsi qu’en Arabie Saoudite. Il faut se préparer à saluer l’avènement de cette région du monde.

Qu’est-ce que vous pensez de ce qu’il se passe en Arabie Saoudite, justement, avec le festival Red Sea ?

Je suis allé là-bas, j’ai rencontré des jeunes gens actifs et connaisseurs. L’Arabie Saoudite est un pays de 35 millions d’habitants, qui promeut un cinéma local, une volonté de cinéma, qui veut produire des films et faire émerger des artistes. C’est une volonté nouvelle de raconter des histoires dont il faut saluer la possibilité. Certes, il y a des considérations géopolitiques. Mais l’Arabie Saoudite évolue, spécialement sur la place qui est faite aux femmes. Cela progresse, sans doute pas assez vite de notre point de vue occidental mais quand on voit ce qui se passe en Iran et en Afghanistan, on ne peut qu’observer cette évolution de façon positive. En résumé, plus le cinéma va partout et plus nous devons en être heureux.

Et le Qatar qui finance le film de Maïwenn (« Jeanne du Barry »), vous en pensez quoi ? Est-ce qu’on peut imaginer que le Qatar va jouer un rôle plus important dans le financement du cinéma Français ?

Je ne sais pas. Le Qatar finance le club de foot de Paris, peut-être veulent-ils faire de même avec le cinéma français ? Il faudrait leur demander. Le cinéma est un objet insaisissable dont on doit respecter l’incertitude, la fragilité, la magie. Déverser de l’argent à flot n’a jamais rendu les films meilleurs. Les films, pour les faire exister, il faut d’abord des artistes et des professionnels.

Et de la liberté d’expression…

Tout à fait. Même les studios hollywoodiens, dont la vocation est de générer du profit, ont toujours respecté une règle immuable : un projet, des artistes, la recherche de qualité, la proximité avec le public. Il faut d’ailleurs espérer que les films des grands auteurs américains retrouvent leur public aux Etats-Unis, que le grand public là-bas reprenne goût aux grandes et belles histoires « adultes ». C’est heureux de voir que ces films marchent en France, je crois que notre pays a été le meilleur territoire international pour « Babylon » de Damien Chazelle, et le merveilleux film de Steven Spielberg « The Fabelmans » y marche très fort.

Il parait que c’est grâce au grand retour des films américains que le box-office français a repris des couleurs.

Le mois de juin 2022 est équivalent au mois de juin 2019. Pourquoi ? Parce qu’il y avait « Top Gun : Maverick », « Elvis » et « Jurassic World : le monde d’après ». Donc oui, la vie économique du cinéma mondial dépend beaucoup de ces films-là. C’est une règle, qui est aussi celle de Cannes : les gros films protègent les petits.

En France, la part de marché du cinéma américain est moins importante que dans d’autres pays mais en valeur absolue, elle est plus forte parce que notre marché reste très haut. Les studios ont tout à fait compris cette position singulière de la France.

Cela explique en partie que les studios reviennent à Cannes ?

L’amitié entre la France et Hollywood est historique. Les studios ont toujours aimé venir au Festival de Cannes. Il a été fondé en 1939 puis organisé en 1946 par la France et les Etats-Unis. L’année 2023 prouvera encore la force de ce lien, j’en suis sûr ! L’Amérique reste un extraordinaire pays de cinéma et il est heureux de voir qu’après la période que nous avons traversé, quelque chose se passe à nouveau. Et le retour d’affection pour la salle est précieux – personne ne veut qu’elle disparaisse et du côté des studios, on sait qu’elle est fondamentale. Pour que les films de plateformes existent, se différencient, ils doivent être forts et pour cela, rien ne vaut la salle de cinéma, la critique, le public, le box-office.

A part ça, comme chacun sait, les films d’auteurs américains préfèrent sortir à la fin de l’année pour être plus près de la campagne des Oscars. Mais je dois le redire : on peut naître en mai à Cannes et être toujours vivant en mars au Dolby Theater ! Nous le prouvons chaque année.

Cette année est quand même un milestone en termes de sélections Cannoises aux Oscars. Est-ce que vous sentez une plus grande réceptivité de la part des studios ?

Oui, c’est magnifique de voir « Top Gun : Maverick » ou « Elvis » salués aux Oscars comme à Cannes. J’ai toujours eu de la part des studios un accueil chaleureux, en témoignage de ce que le Festival représente pour le cinéma mais aussi parce qu’il se bat pour le grand écran. J’ai aussi de très bons rapports personnels avec les dirigeants des plateformes. Nous avons invité Netflix dès 2017, et bien avant, Ted Sarandos pour une conférence au Marché du Film. En 2016, Amazon vint avec les films de Jarmusch, de Park Chan-wook et de Woody Allen. HBO ou Apple aussi ont présenté des films en Sélection officielle.

Vous êtes en pourparlers avec Apple sur le film de Martin Scorsese « Killers of the Flower Moon » ?

Oui, nous sommes en discussion. Ainsi qu’avec Paramount.

Apple a un deal avec Paramount qui devrait permettre au film d’être distribué en salles à l’international. Est-ce que ce sera le cas en France, s’il est montré à Cannes ?

Pour 2023, l’important est de faire en sorte que Martin Scorsese soit présent avec son nouveau film, qui est une œuvre importante. La dernière fois qu’il est venu, c’était pour « After Hours » en 1986 ! Notre règle veut qu’un film en compétition doit être distribué dans les salles françaises. S’il ne l’est pas, le Festival peut l’accueillir hors compétition, comme « Top Gun : Maverick » ou « Elvis » l’année dernière, qui ont fait un Festival triomphal.

Netflix va-t-il revenir à Cannes ?

Les films Netflix sont les bienvenus. Comme ils ne sortent pas en salles, ils peuvent être accueillis hors compétition. Netflix est une grande réussite et une terre d’accueil pour les professionnels du cinéma, leurs films seraient accueillis triomphalement et bénéficieraient d’un magnifique lancement grâce au Festival. J’aimerais les convaincre de venir, de ne pas se tenir à l’écart. Mais je sais qu’ils souhaitent la Compétition pour leurs films – Ted [Sarandos] est un compétiteur !

Votre règle doit évoluer à un moment donné, n’est-ce pas ?

Le monde est en train de changer, mais Cannes est un festival de cinéma qui défend les salles et l’idée que la noblesse de la présentation d’une œuvre, c’est le grand écran. Ça reste une idée forte non ? Mais l’arrivée des plateformes, ce qu’elles rendent possibles en matière de création est tout aussi important dans la création mondiale. La chronologie des médias française évolue déjà, elle va continuer à le faire. Le Conseil d’administration du Festival consacre beaucoup de temps à sa réflexion sur le sujet. Nous parlons de Netflix très souvent et ce sont toujours des débats très enrichissants.

On pourrait aussi assouplir légèrement les règles de la chronologie des médias pour que les films de la compétition cannoise financés par des plateformes aient une fenêtre à 4 mois, exceptionnellement.

Je vous laisserai en faire la proposition au CNC et aux professionnels français !

Donc Netflix va continuer à aller à Venise…

Il est clair que la Mostra profite des films Netflix. Mais nous n’avons pas la même culture ni la même histoire récente : à Cannes, nous nous obligeons à avoir en ouverture un film qui sort le même jour dans les salles, alors qu’à Venise 2022, le film d’ouverture était réservé à une plateforme. Ça serait inconcevable en France.

A Cannes, vous ne cédez pas à la hype d’avoir des stars en présidents du jury avec Vincent Lindon en 2022 et Ruben Ostlund cette année. Comment constituez-vous un Jury ?

Stars et cinéma d’auteur ne sont pas incompatibles, Cate Blanchett l’a prouvé en étant récemment une magnifique présidente de Jury. Cette année, la présence de Ruben Ostlund, qui a gagné deux fois la Palme d’or, est la garantie qu’on va parler de cinéma.

Et pas de politique…

Le Festival a toujours été politique grâce aux œuvres qu’il présente. Parler politique doit être réservé aux artistes. C’est Ken Loach qui parle des méfaits du libéralisme. C’est Wajda qui propose « L’homme de fer » six mois après le coup d’Etat de Jaruzelski et qui gagne la Palme d’or. Spike Lee, metteur en scène extraordinaire, personnalité irrésistible et engagée, a été le premier président noir des jurys de tous les grands festivals. Mais il était d’abord là pour parler cinéma, la preuve, sa Palme d’or remise à « Titane » de Julia Ducournau. Vincent Lindon est presqu’un personnage politique en France. Et le regard que Ruben Ostlund porte sur le monde en dit long sur son engagement. Cate Blanchett a présidé avec Agnès Varda une extraordinaire « montée de marches des femmes ». Mais tous sont d’abord venus pour le cinéma.

Et le reste du jury, comment vous allez l’équilibrer ?

Nous aimerions réaffirmer que le cinéma ne se résume pas seulement aux cinéastes et aux comédiens, mais aussi aux techniciens, aux musiciens, aux scénaristes, aux producteurs. Mais c’est de plus en plus difficile de faire les jurys.

Pourquoi ?

Tout le monde travaille beaucoup ! Quand tu es metteur en scène, tu fais un film pour le cinéma, un film pour une plateforme. Tu fais une série, tu produis un documentaire. Quand tu es comédien, tu fais des films et des séries. Idem pour les techniciens. Et quand les gens ont deux semaines de repos, ils restent à la maison avec les enfants !

C’est important d’avoir des stars à Cannes ?

Absolument. Dès l’origine, Le Festival a incarné le glamour, le tapis rouge, les stars, les médias, c’est l’un des critères qu’il faut garantir. C’est ce que nous avons fait ensemble avec Tom Cruise et Paramount l’année dernière, avec Joseph Kosinski et Christopher McQuarrie (entre parenthèses deux très bons cinéastes). C’est Forest Whitaker qui reçoit une Palme d’or d’honneur, c’est Julia Roberts qui monte les marches et remet le Prix Chopard à de jeunes comédiens. C’est Virginie Efira qui présente la cérémonie d’ouverture.

Beaucoup de gens s’étonnent qu’il y ait encore un homme à la présidence du jury.

Ces dernières années, il y a eu une augmentation du nombre de femmes Présidentes du jury. Le jury, lui, est paritaire depuis longtemps, comme tous les autres jurys. Mais pour vous répondre très concrètement pour 2023 : nous avions une belle liste de présidentes du jury potentielles et personne n’était disponible. Ça n’est pas faute d’avoir déployé de nombreux efforts. C’est la seule raison et je le regrette.

Et en compétition, ces dernières années il y a eu un peu plus de réalisatrices mais jamais plus de 5. Est-ce qu’en 2023 on peut espérer en voir plus ?

J’espère moi aussi qu’il y en aura davantage. La place des femmes dans le cinéma progresse indéniablement. Il faut que les sélections et les nominations témoignent plus fortement de cette progression. En même temps, on ne dit pas assez qu’en 2021, les réalisatrices ont gagné Cannes, Berlin, Venise et San Sebastian. C’est la première fois dans l’histoire. Cette même année 2021, à Cannes, les réalisatrices ont gagné TOUS les prix : la Palme d’or, le court métrage, la caméra d’or, l’œil d’or du meilleur documentaire, la Cinef, etc. Il faut aussi savoir se féliciter de l’évolution des choses, pas seulement lever les bras au ciel comme si rien ne changeait. Car les choses changent.

Comment vous vous positionnez par rapport aux films de réalisateurs considérés « canceled » tels que Roman Polanski et Woody Allen ? Tous les deux ont des films prêts pour Cannes.

Je ne crois pas que le film de Roman Polanski soit prêt pour Cannes. Peut-être que celui de Woody Allen le sera. Nous nous positionnerons en fonction de la situation.

On a entendu que The Idol allait peut-être à Cannes. Est-ce qu’on peut s’attendre à voir davantage de séries à Cannes à l’avenir ?

Nous montrons les « séries des cinéastes » quand ce sont celles de Jane Campion, David Lynch, Olivier Assayas, Nicolas Winding Refn ou Marco Bellocchio, ou celles de comédiens à qui on rend hommage. Cela doit rester minoritaire.

Et donc The Idol ?

Je n’ai vu qu’un seul épisode, qui m’a semblé prometteur.

Et le dernier Indiana Jones ?

Je l’ai vu, le film est formidable. On serait ravis de le montrer à Cannes.

Et Disney Pixar ? Il y avait une tradition aussi de montrer un grand film d’animation chaque année. Est-ce que ça sera le cas en 2023 ?

Oui, j’aimerais que ça soit encore le cas. J’ai récemment été reçu très chaleureusement par l’équipe de Disney, Pixar, Searchlight à Los Angeles. Nous gardons tous un très bon souvenir de « UP » en ouverture du Festival. Les expérimentations ont toujours fait évoluer les festivals.

On annonce le film de Pedro Almodovar en ouverture…

C’est un court métrage, je crois, donc, non pas en ouverture. C’est une rumeur, mais j’aime les rumeurs, elles font partie de la mythologie cannoise.

La guerre a toujours lieu en Ukraine. Allez-vous inviter Volodymyr Zelensky à faire un discours à l’ouverture du festival comme l’année dernière ?

Il faut d’abord que cette guerre d’agression s’arrête. Je le dis à titre personnel et je ne suis pas le seul. L’an dernier, nous souhaitions exprimer en urgence notre solidarité avec l’Ukraine et notre opposition politique à la guerre et à l’attitude belliciste de la Russie. Le Président Zelensky a fait un très beau discours, un discours de cinéma. Nous voulions aussi l’inviter parce que c’est un comédien, quelqu’un qui vient de notre milieu. L’engagement des artistes a toujours été sacré pour le cinéma en général et pour la France en particulier. Nous avons été fiers de lui donner cette parole. Nous devons continuer à exprimer notre soutien. D’autant que l’Ukraine a toujours été un grand pays de cinéma et que la jeune génération exprime en films cette volonté farouche de défendre l’indépendance de son pays.

Avez-vous vu beaucoup de films politiques dans tous les films qu’on vous a soumis ?

Oui, on voit beaucoup de choses. Les artistes expriment une vision du monde. La sélection est en cours, je ne peux pas connaître encore son visage définitif.

 Êtes-vous-optimiste ?

Je le suis toujours même si j’ai parfois le sentiment que le cinéma grand public et le cinéma d’auteur, qui sont les deux piliers fondamentaux, s’éloignent l’un de l’autre. Il faut les rapprocher à nouveau. En France, on est en train de retrouver des chiffres de fréquentation de 2019, d’avant la crise. Désormais, il faut se préoccuper de l’avenir, apprendre aux jeunes qui ont d’autres modes de consommation de l’image à aller au cinéma et leur faire comprendre que c’est aussi leur responsabilité d’en protéger l’avenir. Que c’est une expérience inoubliable et fondatrice : le merveilleux livre de Tarantino, Cinema Speculation, le prouve.

Qu’avez-vous pensé des Oscars cette année ?

J’ai trouvé la cérémonie très bien et j’ai été heureux que Michelle Yeoh ait été récompensée (et déçu que Steven Spielberg ne le soit pas car son film est une déclaration d’amour au cinéma). Je ne comprends pas non plus pourquoi « Sans Filtre » ne puisse pas concourir pour l’Oscar du meilleur film international, même s’il est en anglais. Comment un film non-américain peut-il gagner l’Oscar du meilleur film qui est une cérémonie en l’honneur du cinéma américain ? « Parasite » a gagné, c’est super, mais c’est un film coréen. L’Oscar du meilleur film doit aller à un film américain, comme le César du meilleur film doit aller à un film français et le Goya à un film espagnol.

Mais le fait que ces films-là justement puissent concourir pour l’Oscar du meilleur film est perçu comme une évolution justement !

Quelle évolution ?

TikTok est l’un de vos sponsors depuis l’année dernière. Est-ce que vous continuez avec eux ?

En 2022, et ce fut l’une des dernières actions de Pierre Lescure, le Festival de Cannes a renouvelé ses partenariats audiovisuels en s’associant à la télévision publique française avec France TV et à un nouveau média, Brut., qui complètent l’offre sur le plan quantitatif et qualitatif. La manière dont ils exposent le Festival est absolument formidable. Nous avons noué aussi un partenariat avec TikTok, pour sensibiliser le public jeune et international. En France, TikTok s’est rapproché des milieux de la culture, travaillant avec le Louvre, avec le Château de Versailles et maintenant avec Cannes. Nous sommes heureux de contribuer à faire en sorte que les jeunes puissent voir du contenu de ce cinéma que Cannes défend. Et les chiffres sont réellement impressionnants. Nous savons aussi que TikTok suscite de nombreuses interrogations au plus haut niveau des Etats. Sur le plan des résultats, nous sommes très satisfaits, comme sur la relation humaine nouée avec l’entreprise mais nous sommes, avec la nouvelle Présidente Iris Knobloch, tout autant attentifs à l’évolution de ce partenariat.

Comment ça se passe avec Iris Knobloch ?

La passation de pouvoir avec Pierre Lescure s’est faite de manière harmonieuse, ainsi que lui-même et la ministre de la Culture le souhaitait. Iris a été d’emblée une Présidente qui a exprimé beaucoup de présence et de force. Elle protège l’équipe des salariés et a tout de suite compris comment travailler avec les administrateurs, publics et syndicaux, les tutelles mais aussi avec les partenaires privés et les sponsors. Elle dirige le conseil d’administration avec autorité et compétence. Elle alimente le débat sur tous les sujets qui sont importants pour le Festival. Nous travaillons elle et moi main dans la main. Quand elle travaillait chez Warner, où elle se montrait fidèle à Cannes, elle était de l’autre côté. Elle est impatiente de vivre le Festival de l’intérieur.

 

 

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