Leçon de cinéma : Sergio Castellitto

Sergio © Anne-Laure Bigot

La première des trois leçons de cinéma proposées cette année par le Festival de Cannes est celle qu’a donnée l’acteur et réalisateur
italien Sergio Castellitto, héros entre autres du Sourire de ma Mère et de Va savoir, deux films présentés à Cannes. Au cours
d’un entretien mené par Elisabeth Quin, le comédien a évoqué son parcours et livré quelques réflexions sur son métier, illustrées par
des extraits de films, avant de répondre aux questions du public – au sein duquel figuraient notamment Michel Piccoli et Marco Bellocchio, deux Jurés qui ont eu
l’occasion de travailler avec Sergio Castellitto. Morceaux choisis.

Sur Buster Keaton : « J’admire sa façon de créer une complicité à travers l’angoisse existentielle. Grâce à lui, j’ai appris
qu’il fallait avoir le courage de rester fixe, de ne rien faire, et d’exprimer quelque chose autrement que par le geste, par le regard par exemple. »

Sur ses débuts : « Chez moi, la vocation est née avec l’expérience : plus j’ai pratiqué ce métier, plus je l’ai aimé. Je
n’avais pas l’envie de jouer au départ. Je pensais que je n’avais pas d’aptitude artistique, mais peut-être avais-je en fait peur de découvrir en moi
cette aptitude. Mon premier maître, le metteur en scène Otomar Krejca, m’a appris quelque chose que je n’ai jamais oublié : jouer, c’est aussi se faire jouer
par les autres. Un peu comme au judo : on prend l’énergie des autres. »

Sur l’importance du corps : « Je pars toujours du corps, du comportement. Le geste le plus intelligent pour un acteur, c’est de ne pas penser. Il y a une intelligence du
corps. »

Sur le jeu de l’acteur en Europe et aux Etats-Unis : « Nous avons une tradition de théâtre ancienne. Nous préférons montrer plutôt que
d’être. Les Américains ont une tradition plus récente, ils sont plus naturalistes. Je n’ai jamais pensé que c’était mieux qu’un acteur
pleure vraiment. Je crois à la représentation. »

Sur le fait de jouer en français : « Le problème quand vous jouez dans une autre langue, c’est que la première fois, votre voix change, elle monte. Il
m’a fallu du temps pour régler ma voix sur mon corps. »

Sur sa double casquette d’acteur et de réalisateur : « Quand je suis interprète, je suis un premier violon, qui se met au service de la partition d’un auteur.
A un moment, j’ai eu envie de me lancer dans ce projet mégalomaniaque : construire l’histoire. J’ai compris que la mégalomanie était du côté du
réalisateur. L’acteur, lui, est un cheval intelligent et fou. Il faut être intelligent pour se mettre à la disposition du réalisateur, mais aussi pour trahir le
metteur en scène sans qu’il s’en aperçoive… Les acteurs se cachent derrière les personnages, les metteurs en scène derrière la caméra
: chacun a son cheval de Troie. Jouer, c’est donner son opinion sur les choses. Mais ne pas jouer aussi : à côté du CV qui mentionne ce qu’on a fait, il faudrait
donner celui qui mentionne ce qu’on n’a pas fait… »

Sur Jacques Rivette : « Je l’ai rencontré dans un bar des Champs-Elysées. Il m’a donné une simple feuille, et m’a dit que plus tard j’aurais
le scénario. Ce n’était pas vrai, il n’y a jamais eu de scénario… Quand un acteur lui pose une question, il répond toujours « je ne sais pas
». J’ai mis du temps à comprendre que ce qu’il veut, c’est découvrir avec l’acteur, jour après jour. »

Sur Le Sourire de ma Mère : « La première fois, je n’ai rien compris au scénario, mais j’avais très envie de travailler avec
Bellocchio. C’est un des films les plus spirituels faits en Italie ces dix ou quinze dernières années, avec une éthique unique. Je suis croyant, Marco ne l’est
pas, mais on a trouvé un équilibre formidable. C’est un film qui parle de façon symbolique de notre pays, de sa sociologie. »

Photo Copyright Anne-Laure Bigot;