CANNES CLASSICS – Ascenseur pour l’échafaud : la rencontre de Louis Malle et Miles Davis

Jérome Seydoux & Thierry Frémaux © FDC / T. Delange

En 1956, Louis Malle et Jacques-Yves Cousteau remportaient la Palme d’or pour Le Monde du silence. Deux ans plus tard, sort Ascenseur pour l’échafaud, film policier qui réunit Jeanne Moreau et Maurice Ronet. La musique est signée Miles Davis. Stéphane Lerouge, spécialiste de musique pour l’image, concepteur de la collection discographique Ecoute le cinéma ! raconte cette rencontre au sommet…

Photo du film © DR

Comment Louis Malle et Miles Davis se sont-ils rencontrés ?
C’est une rencontre magique, organisée par la providence : Louis Malle était accro aux premiers albums de Miles Davis, notamment Miles Ahead, sorti au printemps 1957. Il avait en tête le timbre de cette trompette unique pendant le tournage d’Ascenseur pour l’échafaud. Dans un plan du film, on aperçoit même une pochette d’un 33 tours de Miles Davis. Quatre mois plus tard, coïncidence hallucinante, Davis vient à Paris pour une série de concerts au Club Saint-Germain. Malle est en pleine finalisation du montage, il bondit sur l’occasion pour rencontrer son idole et lui proposer d’écrire la musique de son film. Davis n’avait jamais travaillé pour le cinéma mais, contre toute attente, il a accepté.

Est-ce que s’orienter vers une bande originale jazz fut un choix audacieux pour l’époque ? Peut-on parler d’une rupture à l’époque ?

Oui et non. En France, quelques mois plus tôt, il y avait déjà eu la musique de Sait-on jamais de Vadim, signée John Lewis et interprétée par le Modern Jazz Quartet. La rupture, elle vient du "son Davis" en combo sur un film d’errance nocturne, du mariage insolite entre le timbre de Miles Davis et la grâce de Jeanne Moreau, déambulant dans un Paris en noir et blanc, embué de néons. Comme si la trompette de Davis était la voix intérieure du personnage.

Selon vous, en quoi cette bande originale est-elle unique ?

Tout simplement car elle n’a pas été écrite. Davis a uniquement vu le film deux fois, a pris quelques notes, puis a réuni ses musiciens, trois jours plus tard au  studio du Poste Parisien. La séance a démarré a onze heures du soir : ils ont improvisé face à l’écran, sur les séquences choisies par Malle. A huit heures du matin, tout était plié. C’est un repère historique dans l’histoire de la musique au cinéma : Ascenseur pour l’échafaud, c’est la première bande originale jazz improvisée à l’image. Quand Malle a mixé la musique sur le film, il a eu le sentiment que ses images s’envolaient. "C’était élégiaque, c’était détaché, ça renforçait le film par contrepoint" avouera-t-il.
 
Comment la musique a-t-elle été accueillie par la critique ?

Elle a contribué à l’impression de modernité du film. Voire de liberté sur un récit dramatiquement très verrouillé. Malle a plusieurs fois tenté de retravailler avec Davis, sans succès. A défaut, il a cloné l’expérience d’Ascenseur avec le violoniste Stéphane Grappelli sur Milou en mai, en 1989. Mais Ascenseur reste un Himalaya à jamais inégalé : on y trouve l’audace, la fraîcheur des premières fois : première contribution  de Miles Davis au cinéma, premier film de fiction de Louis Malle. Ils se sont jetés à l’eau, avec une forme d’inconscience. Il en est ressorti un chef-d’oeuvre.

La restauration 2K a été présentée par Gaumont. Les travaux image ont été effectués par Eclair, et le son restauré par Diapason en partenariat avec Eclair.

Hannah Benayoun

SÉANCE

Jeudi 14 mai / Salle Buñuel / 16h30

>> Accédez à l’agenda interactif