2001, L’Odyssée de l’espace : les coulisses techniques d’un retour sur grand écran

2001 : L’Odyssée de l’espace © DR

Durant quatre mois, Ned Price a supervisé la recréation photochimique de 2001, L’Odyssée de l’espace, le film de Stanley Kubrick qui sera projetée ce dimanche 13 mai dans les conditions proposées aux premiers spectateurs en 1968, lors de la sortie du long métrage. Le responsable de la conservation des films chez Warner Bros revient sur le travail d’orfèvres qui a été réalisé sur les négatifs originaux.

Comment est née l'idée de célébrer le 50e anniversaire de la sortie de 2001 au travers d'une copie neuve en 70 mm ?

À l'automne 2017, Christopher Nolan et moi étions au travail dans le même laboratoire. Tandis qu’il planchait sur la remasterisation de sa filmographie au format 4K Ultra HD, j’étais à l’œuvre sur la numérisation 4K Ultra HD de 2001. Je lui ai demandé s'il souhaitait voir une copie que nous avions faite imprimer en 1999 dans le cadre d'un projet de conservation du long métrage. Après l’avoir visionnée, il s’est tourné vers Warner Bros pour suggérer que soit tirée une nouvelle copie en 70 mm du film. Avec l’idée était de recréer, pour le 50e anniversaire de sa sortie, l'expérience originale proposée en salle aux spectateurs en 1968. Nous avons donc choisi de travailler sur le négatif original.

Dans quel état se trouvait-il ?

Le négatif original et la bande-son du film sont conservés dans les archives de la Warner Bros, au studio de Burbank, à Los Angeles. La pellicule est en bon état pour son âge. Elle souffre d’une légère décoloration que nous avons heureusement pu corriger lors de l’impression. Elle a également légèrement rétréci car elle a perdu en humidité à travers les années en raison de son vieillissement naturel. Ce rétrécissement a légèrement déformé le négatif, qui s’est évasé au centre. Nous l’avons manipulé avec beaucoup de soin car le rétrécissement en question pouvait entraîner la séparation des collures du film. Le négatif est déchiré à quatre endroits.

Sur quels aspects s'est concentré votre travail ?

Nous avons décidé de laisser les cadres déchirés intacts et visibles dans les nouvelles impressions en 70 mm plutôt que de tromper le spectateur en insérant une section réparée numériquement, qui serait de qualité inférieure à la section originale endommagée du négatif.

Et la bande sonore ?

La bande sonore originale en 35 mm a été altérée par le « syndrome du vinaigre », au point d’être inaudible. Nous avons donc rétabli l'audio à l’aide d'un élément de protection des bandes en 35 mm fabriqué dans les années 1980. L'impression en 70 mm a été réalisée à partir de la bande originale de 1968 à 6 canaux. Il y avait 5 haut-parleurs derrière l'écran et un canal surround mono. La conception originale du son stéréo et l'imagerie n’ont pas été modifiée. Aucun filtrage numérique ni corrections n'ont été apportées à la bande-son. Le son à 6 canaux sera lu à partir du disque DTS.

À l'époque, la projection était coupée en deux, avec une pause de 15 minutes après 70 minutes de film. Pourquoi ?

L’entracte était typique à l'époque pour un film de cette longueur. Je ne sais si Kubrick avait conçu 2001 en y incluant une pause, mais je pense qu’elle peut permettre au spectateur de réfléchir et d’aborder la seconde partie du film avec une perspective différente.

Combien de personnes ont participé au projet et pendant combien de temps ?

Les travaux de conservations menés en 1999 ont duré environ six mois. La création des négatifs intermédiaires 65 mm et de la copie 70 mm a duré environ quatre mois. Les deux projets combinés ont mobilisé plus de 50 personnes.

Avez-vous dû faire appel à du personnel spécialisé pour mener le projet à son terme ?

Nous avons eu la chance de travailler avec les laboratoires FotoKem pour créer la copie en 70mm. FotoKem continue d'imprimer et de traiter des films en 70 mm. Il dispose d'un personnel exceptionnel, dont Vince Roth, qui a préparé le négatif pour l'impression, Kristen Zimmermann, qui s’est chargée de l’étalonnage de la pellicule et Andrew Oran, qui a dirigé la production.

Pourquoi n'avez-vous pas restauré l'image du film ?

Je crois que le terme « restauration » est utilisé à tort car la plupart des laboratoires chargés des restaurations altèrent en général l’apparence des films – et parfois même leurs contenus – plutôt que de simplement leur rendre leur état d'origine. Le terme "non restauré" est plus adapté ici, même s’il est controversé. Mais il signifie que vous visionnez quelque chose de pur et d’inchangé.

Quel rapport entretenez-vous avec le film ?

Ce film m'a suivi toute ma vie. Il est pour moi comme une sorte de jalon kilométrique. J'ai séché l’école en 1972, à l'âge de 12 ans, pour pouvoir visionner une copie 70 mm de 2001 dans un cinéma Cinerama. Ce film m’a terrifié, mais l’expérience m'a convaincu que je devais travailler dans l’industrie du cinéma. En 1998, je me suis assis dans un laboratoire cinématographique de film pour travailler sur la synchronisation couleur à partir du négatif original. En 2018, j'ai visionné la copie en 70 mm qui sera présenté en avant-première à Cannes. Je crois que ce film évolue à chaque visionnage, car j’y projette à chaque fois un nouveau vécu personnel.

Une présentation de Warner Bros. Copie 70mm tirée à partir d’éléments du négatif original. Il s’agit d’une recréation photochimique fidèle qui n’a fait l’objet d’aucune retouche numérique, effet remasterisé ni modification de montage. Présenté par le réalisateur Christopher Nolan, le film sera projeté en salle Debussy, avec entracte de 15mn, dans l’exacte reproduction de l’expérience vécue par les spectateurs lors de la sortie du film au printemps 1968. En présence également de la fille de Stanley Kubrick, Katharina Kubrick, et de son coproducteur Jan Harlan.