Cyrano, la grande époque du cinéma épique : rencontre avec Jean-Paul Rappeneau
Jean-Paul Rappeneau a présenté deux films en Compétition au Festival de Cannes, dont Cyrano de Bergerac en 1990, adaptation au cinéma de la pièce en alexandrins d’Edmond Rostand, et l’un des plus grands succès du cinéma français. La prestation parfaite de Gérard Depardieu est restée dans les mémoires. Qu’à la fin de l’envoi, je touche ! Rencontre.
La proposition. Je n’aurais jamais pensé adapter une pièce de théâtre écrite au 19e siècle qui ressemblait, quand on m’en a parlé pour la première fois, à une vieillerie poussiéreuse. J’avais déjà tourné plusieurs films et un jour, les droits de la pièce d’Edmond Rostand sont tombés dans le domaine public. On m’a proposé de l’adapter. Sur le moment j’ai failli refuser, mais je l’ai relue, et je me suis souvenu que c’était la première pièce que j’avais vu avec ma mère et ma sœur. J’avais dans les huit ans et j’avais été bouleversé. En redécouvrant la pièce, les émotions anciennes sont revenues et j’ai accepté. Fidèle à mes émotions d’enfant, j’ai pris un grand plaisir à me la réapproprier. Jamais je n’aurais imaginé faire un truc pareil.
L’adaptation. La pièce dure 3h20 et le film 2h25. Donc il a fallu couper des vers, impossibles à couper car il y a des rimes, etc. Jean-Claude Carrière, le grand scénariste, dramaturge, écrivain, a écrit des ‘scènes à la manière de’ pour les raccourcir. C’est un magicien des mots.
Depardieu. Je pense que Depardieu n’est pas très loin de Cannes mais qu’il ne veut pas venir par émotion. Il ne connaissait pas la pièce et il s’est retrouvé dans cette histoire d’un homme à la fois très fort, capable de combattre cent personnes, et très faible, handicapé par une blessure secrète qui l’empêche d’aimer. Il y a cette histoire de nez mais ce nez est surtout intérieur. C’est l’histoire d’un homme qui se fait du mal, qui ne s’aime pas. Et ça me touche beaucoup car il y a beaucoup de gens comme ça. C’est à peu près Cyrano. D’immenses qualités, mais cachées.
Il y a 1500 Alexandrins à dire dans la pièce, et Depardieu les connaissait pas cœur. Dix ans après, il s’en souvenait encore. Peut-être que ça a marqué un point limite pour lui. Aujourd'hui, comme ça l’embête d’apprendre même des petits dialogues, il colle des papiers sur le front de ses partenaires pour lire le texte!
Tournage. C’est comme si l’aile de l’ange nous avait tous frôlés. Il y avait une atmosphère particulière. Un metteur en scène a des centaines, voire des milliers de décisions à prendre par jour. Parfois, on regarde un film a posteriori et on se dit qu’on aurait pu changer telle ou telle chose. Quand je repense à Cyrano, je ne regrette rien. Je ne vois pas qui pourrait être meilleur que Gérard Depardieu, que Vincent Perez, qu’Anne Brochet, ou que Jacques Weber qui avait été un grand Cyrano au théâtre, et qui avait accepté de jouer l’adversaire. Il y a aussi les décors superbes de ce grand décorateur italien… Au final, ce fut mon plus grand succès. Grâce à Rostand, grâce à Depardieu, grâce à beaucoup de choses.
La transformation. Je suis fier d’avoir révélé le film en devenir, d’y avoir insufflé la rythmique du cinéma. Ces dernières semaines, le film a connu une autre transformation. Certains techniciens qui avaient participé au film sont encore là : le grand opérateur Pierre Lhomme qui avait fait une photo magnifique, a numérisé le film qui était en 35 mm argentique. Le monteur son, Jean Goudier, a réussi à retrouver le mixage original du film, le magnétique 35 qu’il a aussi numérisé. Techniquement le film est modernisé et je dirais même qu’il est encore plus beau !