Un Grand Voyage vers la Nuit, le regard de Bi Gan
Dans Un Grand Voyage vers la Nuit, son second long métrage après Kaili Blues, récompensé en 2015 à Locarno, le cinéaste chinois Bi Gan narre le retour d’un homme dans sa ville natale pour retrouver une femme qu’il a aimé. Le film est projeté à Un Certain Regard.
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’idée de ce film ?
Le titre de la collection de poèmes de Paul Celan, « Pavot et mémoire » (1952). Mon film est divisé en deux parties : la première est intitulée « pavot » et la seconde « mémoire ». J’ai travaillé sur le scénario avec le romancier Chang Ta-Chun, qui a officié comme consultant. On a beaucoup discuté de la structure du film ensemble et c’est durant ces discussions qu’est née l’idée de diviser le récit en deux parties. Un Grand Voyage vers la Nuit était au départ un film noir, dans le style d’Assurance sur la mort (Double Indemnity), de Billy Wilder. J’ai ensuite déconstruit le scénario en interchangeant des éléments, en les déplaçant d’une scène à l’autre. C’est ainsi que je bâtis mes films.
Comment s’est passé le tournage ?
J’ai arrêté le tournage dès le premier jour. Je n’étais pas content des décors. Cela a duré un moment, c’était très tendu et il y avait beaucoup de pression. Puis est venu Liu Qiang, notre directeur artistique qui a un sens plastique très aiguisé. Avec lui, on a commencé à résoudre ces problèmes. Le tournage a par la suite été arrêté deux ou trois fois, il a pris du retard et tout s’est achevé à la mi-février 2018, à quelques jours du nouvel an chinois.
Comment avez-vous composé votre casting ?
Le visage de l’acteur ou de l’actrice est très important pour moi. La promenade, de Chagall, m’a beaucoup inspiré pour ce film, mais qui pouvait jouer la femme volante de ce tableau ? Je ne voyais personne au début. Puis soudain, le visage de Tang Wei m’est apparu. J’ai réalisé qu’elle pourrait être fascinante et je l’ai contactée immédiatement. Concernant la mère de Luo Hongwu lors qu’il est Jeune Chat (Wild Cat), j’ai souhaité une actrice capable de se glisser dans différents rôles, tout en gardant le même épanouissement : c’est ainsi que Sylvia Chang s’est imposée comme le meilleur choix pour moi. Pour le reste du casting, je l’ai composé assez vite. Globalement, il est composé d’acteurs professionnels et d’acteurs amateurs. Certains ressemblent à des animaux, d’autres à des plantes !
Qu’avez-vous appris lors de la conception du film ?
Que je dois me sentir en danger, presque comme si je devais échapper à la mort pour continuer à créer. C’est quelque chose que j’ai déjà expérimenté sur Kaili Blues, mon premier film. Je me dis souvent que le film est voué à l’échec et pourtant, le lendemain, une nouvelle idée me vient. Elle le fait renaître. Je pense que se remettre en question pour sortir du confort, parfois au risque de se « détruire » est nécessaire pour les créateurs. Que ce soit avec un gros ou un petit budget, je ne peux pas me contenter de faire un film uniquement parce qu’il y a un scénario écrit. Cela ne me suffit pas et ne me motive pas assez.