Le Bleu du Caftan, le regard de Maryam Touzani

Photo du film LE BLEU DU CAFTAN de Maryam TOUZANI © Les films du Nouveau Monde - Ali n' Productions - Velvet Films - Snowglobe

Avec Le Bleu du Caftan présenté au Certain regard, Maryam Touzani signe un film sur l’amour et la liberté, celle d’être qui on est, et d’aimer qui l’on veut aimer.

Racontez-nous la genèse de votre film.

Pendant les repérages d’Adam, mon précédent film, j’ai fait une rencontre dans la médina de Salé avec un homme qui tenait un salon de coiffure pour dames. J’ai ressenti quelque chose de l’ordre du non-dit dans sa vie, quelque chose d’étouffé par rapport à qui il était dans son for intérieur, et qui il essayait d’être face au monde,  en raison de son milieu très conservateur. Je me suis retrouvée à imaginer sa vie. Les mois ont passé, et il était toujours là, refaisant surface de temps à autre dans mes pensées. 

J’ai imaginé ce que c’était que d’être dans la peau d’un tel homme, d’être constamment en lutte, de vivre toute une vie dans la contradiction et trop souvent dans la honte. Ce que c’était que d’être l’épouse de cet homme-là, de mener une existence parsemée de doutes,  de vivre dans l’insatisfaction, ou même dans la culpabilité… Et presque toujours, dans le non-dit. Le non-dit, ce fardeau si lourd à porter, si dur à briser. Cela demande un courage démesuré de réussir à affronter une telle vérité, surtout dans une société qui peut être aussi conservatrice que celle dans laquelle je vis.

Cette vérité, j’ai eu besoin de l’entendre, de m’y confronter. J’ai donc cherché à échanger avec des personnes qui la connaissaient. Au fur à mesure de mes rencontres, le désir est devenu de plus en plus fort, de parler de ces hommes et de ces femmes qui s’effacent où qu’on efface.

Quelques mots sur vos interprètes ?

J’avais déjà travaillé sur le tournage d’Adam avec Lubna Azabal, et je savais de quoi elle était faite, je savais qu’elle allait comprendre et aimer véritablement Mina. En écrivant Le Bleu du Caftan, j’avais son visage en tête, certainement parce qu’elle a cette même force de caractère que Mina. Avec du recul, je pense qu’elle a inconsciemment influencé mon écriture. Le tournage a été très dur pour elle : pendant que Mina perdait la vie, Lubna a découvert que son père était gravement malade. Lubna a eu un courage extraordinaire de vivre en parallèle l’agonie de son personnage et la fin de vie de son père. C’était très dur, mais il y avait une forme de poésie dans cette situation, comme si elle accompagnait son père à distance, comme si elle vivait la mort avec lui. 

Quand Saleh Bakri a lu le scénario, il est tombé amoureux du personnage de Halim. Il a compris quelles étaient ses déchirures, à quel point il était beau, à quel point il avait des choses à dire au monde.  Des choses qu’il avait, lui aussi en tant qu’artiste, envie de défendre. Pour interpréter un personnage homosexuel tel que Halim, dans le monde arabe, il faut beaucoup de croyance et de courage. 

Ayoub Missioui, tout comme Saleh, a fait preuve du même courage. Youssef, le personnage qu’il interprète, est son premier rôle au cinéma. Face à l’incertitude des réactions que le film pourrait susciter au Maroc, il s’est montré totalement investi. J’ai senti très vite qu’il avait la maturité pour le comprendre, qu’il l’aimait, et qu’il avait la sensibilité et le talent pour le porter et le défendre.