Acide de Just Philippot, l’interview cannoise

Photo du film ACIDE de Just Philippot

Après le succès de La Nuée en 2020, Just Philippot s’empare à nouveau des codes du cinéma de genre. Présenté en Séance de Minuit à Cannes en mai dernier, Acide lance les personnages d’une famille désunie – Guillaume Canet et Lætitia Dosch sont les parents divorcés de Patience Muchenbach – au cœur d’un cauchemar climatique symbolisé par des pluies torrentielles et corrosives. Un film catastrophe hautement anxiogène à découvrir en salle ce mercredi 20 septembre.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de développer le scénario de votre court métrage sorti en 2018 ?

J’ai été frappé par la succession de crises qui a secoué et secoue encore nos sociétés. Le mouvement des Gilets jaunes m’a bouleversé. La crise climatique a gagné en évidence et les jeunes sont montés au créneau de façon plus radicale. Et puis le Covid… Menace lointaine qui ne devait jamais arriver jusqu’à nous… Je me retrouve aujourd’hui incapable de parler du monde tel qu’il est, à mes enfants. Je ne sais plus comment les protéger des tremblements qui nous guettent tous, sans exception. À travers Acide, j’ai donc ressenti le désir de parler de nous, à l’échelle du citoyen paumé que je pouvais être dans une société sous pression. Entre l’enjeu de la crise climatique, et la nécessité de réussir à boucler les fins de mois, nous sommes, à l’image des mes personnages-parents, complètement perdus. L’expérience de La Nuée m’avait déjà permis de nourrir ces angoisses « de fin du monde ou de fin du mois ». Je n’ai pas choisi Acide parce que le concept du court-métrage avait plu. Je l’ai choisi parce qu’il me paraissait le meilleur moyen de présenter au spectateur, un message essentiel pour moi, à travers un film ambitieux d’un point de vue esthétique.

Le changement climatique, l’exode de masse ou encore la lutte des classes : le message de votre long métrage est éminemment politique. Pourquoi avoir choisi le cinéma de genre, et a fortiori le cinéma fantastique, comme médium ?

Quand je vois la violence de notre réel, je me dis que la fiction ne peut pas lui arriver à la cheville. Pour arriver à déstabiliser un spectateur d’aujourd’hui, il faut trouver un chemin, un accès à quelque chose de plus intime. Le cinéma fantastique peut emprunter de nombreux chemins, y compris les plus sensoriels. Ceux-là sont capables de s’immiscer très profondément chez le spectateur et de l’immerger dans un cauchemar qui devait faire écho sans arrêt aux catastrophes qu’il traverse. À travers le prisme du cinéma fantastique, j’ai donc tenté de lui présenter un miroir, constitué d’éléments fantastiques sur un traitement hyper-réaliste. J’ai tenté de remanier les codes du film catastrophe pour lui montrer un enchaînement dramatique radical qui devait être le pire de tous. J’ai toujours dit « je ne veux pas faire un film d’horreur, je veux faire un film horrible ». Tout le danger du film aurait été de prendre plaisir à singer le cinéma américain. Nous avons donc cherché à élaborer un univers extrêmement réaliste, à l’image de l’introduction du film. Rien dans Acide, n’est invraisemblable, voire impossible… Cette catastrophe a déjà été vécue et pourrait être à nouveau possible… Pour moi, l’emploi du politique est là : faire de la salle de cinéma un endroit où l’on vit ensemble, des émotions fortes que seule la fiction peut nous procurer. Moi, je crois encore à l’idée que le cinéma doit nous pousser à vouloir changer le monde. Parce que l’on ressort toujours plus fort d’un film qui vous a bouleversé.

Acide questionne la notion de sacrifice au sein du noyau familial…

Le sacrifice représente effectivement dans cette histoire un ultime cadeau aux conséquences douloureuses, mais à une échelle tout sauf flamboyante car il ne s’agit pas ici d’un geste d’amour. Il intervient comme une dernière preuve de raison dans un contexte de survie où il n’y a plus d’autre choix. Cela le rend moins noble et amène un retournement des choses : le père ou la mère doivent laisser la place à un nouveau regard – celui de leur enfant – en espérant un lendemain viable. Ce qui m’a intéressé, c’est de raconter ce bouleversement qui contraint l’enfant à grandir plus vite pour mieux appréhender le monde des adultes. J’ai également voulu montrer comment des parents peuvent se transformer en danger pour leurs enfants lorsqu’ils perdent le contrôle. En l’occurrence, Acide est l’histoire d’une course contre la montre et d’une perte de contrôle.

 

« Acide est l’histoire d’une course contre la montre et d’une perte de contrôle. »

 

De quelle manière avez-vous travaillé avec Guillaume Canet, Lætitia Dosch et Patience Muchenbach ?

Je souhaite toujours pouvoir me dire que mes acteurs et actrices sont des hommes et des femmes que je peux croiser dans la rue. Guillaume et Lætitia ont façonné leur personnage respectif de cette façon-là. Ils se sont appuyés sur leur fragilité, sur leurs faiblesses, y compris physique pour devenir des « citoyens lambda » incapables de suivre le rythme d’une catastrophe. Ils ne devaient pas être prêts… Comme nous tous. Patience devait aussi amener physiquement un élément de réel très fort : elle devait interpréter une jeune fille dans la fleur de son âge, sans que l’on sache pour autant quel adulte elle va devenir. Mon but était de démontrer que nous sommes tous égaux devant le danger, au point de remettre constamment en question le statut de personnage principal dit intouchable. Dans Acide, tous les personnages sont en danger et peuvent disparaître d’une minute à l’autre. C’était la règle que Yacine et moi, nous nous étions fixés.

Avez-vous imaginé la pluie acide comme un personnage à part entière ?

Pas vraiment. Tenter de l’expliquer aurait été ou compliqué ou relativement décevant. La pluie acide devait être le « phénomène de trop » d’un territoire où le changement climatique est déjà irréversible. Cette façon de la penser m’a permis de faire en sorte qu’elle évolue constamment et qu’elle prenne des formes différentes qu’on ne peut anticiper. Je ne souhaitais pas qu’elle arrive dans le récit et tombe sur les gens de façon bête et méchante. Je souhaitais qu’elle représente une menace constante, plus sournoise encore. La pluie, c’est de l’eau et l’eau, ça s’infiltre partout ! Le temps de l’action se passe sur deux ou trois jours et les personnages du film n’ont pas véritablement le temps de comprendre à quoi ils font face. Tandis que les pouvoirs publics bricolent, ils n’ont pas d’autre choix que de s’échapper sur ce territoire où il n’y a plus aucune zone sûre.

Quel était l’enjeu principal sur le volet des effets spéciaux ?

Nous avons travaillé les effets spéciaux comme s’il s’agissait d’un film d’époque. Mon chef décorateur et moi avons a réécrit les curseurs des dégradations causées par la pluie car y aller trop fort dès le départ aurait eu des effets en cascade sur le reste. Cela aurait impliqué de monter les niveaux de destruction sur l’ensemble du film et j’avais un budget qui ne le permettait pas. C’est pour cette raison que nous avons tenté d’être le plus précis possible sur les états de dégradation et sur leur manière de se répéter. Nous avons joué le plus possible de choses en direct : la pluie, les maquillages et les éléments de cascades. Les nuages ont en revanche été intégrés en post-production, tout comme des éléments du décor qui étaient impossibles à fabriquer.

Quels ont été vos préceptes visuels pour ce film ?

Avec Pierre Dejon, mon chef opérateur, L’idée était d’aller progressivement vers une perte des couleurs, vers une sorte d’univers délavé, vers un noir et blanc qui ne dit pas son nom… Nous souhaitions réussir à créer une ambiance qui tend petit à petit vers quelque chose de très sombre. La fin du film a été pensée à la manière d’un décor d’opéra, à la fois grandiose et minimaliste avec ses personnages perdus dans la nuit. Nous avions une logique de cinéma hybride, qui souhaitait mélanger les extrêmes. La Nuée se situait entre Petit Paysan et La Mouche. Acide se situe lui entre Un pays qui se tient sage et un film de Spielberg, avec un clin d’œil appuyé au photographe américain Saul Leiter et au cinéma russe; en particulier à Requiem pour un massacre. J’avais envie de cette trajectoire forte : un film qui ne prend jamais le temps de se regarder, qui ne fait qu’avancer. Je voulais une mécanique en mouvement, portée par des personnages en mouvement, embarquée dans un drame en mouvement.

Un mot sur le son ?

C’est une étape du processus que j’adore et que j’ai poussé le plus loin possible avec mon monteur son Rolland Voglaire, mon mixeur Xavier Thieulin et mon compositeur Rob. Un film fantastique, c’est surtout une atmosphère, un climat. C’est ce climat en particulier qui fait que soudain, le spectateur vit une expérience inédite. Sur ce volet, j’ai pensé à Under The Skin, dont la musique, le design et le montagne son sont époustouflants. J’ai eu la possibilité de monter énormément les curseurs sonores, de la musique au bruitage. J’ai pris énormément de plaisir à emmener le film dans un univers sonore peu commun. Cette expérience auditive très particulière amène un regard anxiogène sur le reste. Le travail sur le son m’a permis de créer des sensations qui n’étaient pas à l’image et d’embarquer encore un peu plus loin mon spectateur. Seul l’équipement sonore d’une salle de cinéma peut le faire.

En France, les films de genre surfent sur une dynamique positive de production. Comment l’expliquez-vous ?

Je connais assez mal le cinéma de genre à l’échelle d’un cinéphile spécialisé dans ce domaine. Mais s’agissant des rouages et des méthodes de fabrication et de financements, je me suis toujours positionné sur le registre du cinéma de genres – au pluriel !- écrit comme un drame. Si nous avons réussi à financer Acide, indépendamment de son action et de son esthétique, c’est parce qu’il contient un discours. Je n’ai jamais pris le cinéma de genre comme un acte gratuit. J’ai constamment respecté le cahier des charges du financement du cinéma français. La règle plus ou moins tacite, c’est que ces projets de film puissent être habités par un regard et un discours. J’ai donc fait attention à ce qu’il participe de cette lecture collective des financements privés et publics. De manière générale, je crois que depuis l’émergence des séries, il y a une appétence pour un cinéma généreux. Les spectateurs ont envie de retrouver du plaisir devant le grand écran et pour la salle de cinéma, c’est primordial. Je suis heureux de faire ce cinéma en pensant également aux jeunes spectateurs qui s’éloignent des salles art et essai. Dans mon parcours, j’ai eu l’opportunité de pouvoir brasser des références et c’est une chance. Cette hybridation permet à la salle de cinéma d’entretenir son statut de lieu de spectacle. Car elle doit rester avant tout un lieu de plaisir. Et le plaisir n’empêche pas d’appréhender le discours d’un(e) auteur(trice), bien au contraire.

Travaillez-vous d’ores et déjà sur un autre projet ?

J’adapte en ce moment en format mini-série pour HBO, La mythomane du Bataclan, la série publiée par le site d’informations Les Jours. Au casting de ce drame qui prend la forme d’un thriller psychologique figurent notamment Laure Calamy, Arieh Worthalter, Annabelle Lengronne et Alexis Manenti.