Catherine Breillat filme l’ultra-intimité dans L’Été Dernier

Photo du film L'ÉTÉ DERNIER de Catherine Breillat

Dans L’Été Dernier, Catherine Breillat narre l’amour entre une avocate et son beau-fils de 17 ans. Incarné par Léa Drucker et Samuel Kirscher, le film est une ode à la beauté incandescente de l’adolescence.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans Dronnigen (2019), le long métrage danois de May el-Toukhy dont L’Été Dernier est le remake ?

J’ai été sidérée par une séquence totalement vertigineuse dans laquelle l’un des personnages ment. C’est une scène d’anthologie qui illustre parfaitement la célèbre citation de Jean Cocteau : « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité ». Rien que pour avoir eu l’opportunité de la mettre en scène, j’ai eu une chance incroyable de réaliser ce long métrage qui aborde par ailleurs l’ensemble des thématiques qui me sont chères. Le mensonge, le moralisme… L’Été Dernier est la synthèse de toute mon œuvre.

De quelle manière vous êtes-vous appropriée cette histoire ?

Entièrement ! Le long métrage danois est très cru et cela m’avait quelque peu déstabilisée car j’ai trouvé qu’il n’explorait pas ce qui est, d’après moi, le cœur du sujet : l’adolescence absolue. Ce qui m’a intéressée, c’est la beauté incandescente de l’adolescence qui irrigue cette histoire. J’ai voulu filmer cette rébellion et cette douleur permanente que les adolescents portent parfois en eux.

Vous scrutez sans relâche l’intimité de vos personnages…

C’est ce que j’appelle l’ultra-intimité. Chaque cinéaste possède une signature et de mon côté, j’aime l’expressionnisme. Le cinéma, c’est l’art du cadre et mon obsession, c’est que le spectateur soit fasciné à chaque image. Je prends également soin d’inscrire visuellement mes films dans une lenteur assumée. Le rythme est un élément important à dompter pour que le cinéma ne soit pas dans la réalité, mais dans la vérité.

 

« J’ai souhaité passer de l’ordre charnel à l’ordre amoureux et filmer l’extase plutôt que la jouissance. »

 

Après la pulsion sexuelle, vous auscultez la plénitude amoureuse…

Ce que j’ambitionne, c’est de révéler les visages de ces corps nus et d’arriver à la transmutation du trivial au divin. C’est-à-dire passer de l’ordre charnel à l’ordre amoureux et filmer l’extase plutôt que la jouissance. Je ne veux pas montrer les corps, mais l’âme des personnages à travers eux. N’oublions pas que nous sommes des êtres humains, pourvus de sentiments très complexes.

Comment vous y êtes-vous prise pour filmer cette chose invisible ?

Nous n’avons rien conceptualisé. J’ai pour habitude de tout expérimenter et chorégraphier avec mon corps pour ressentir les choses et mieux les restituer à l’écran. Je pars de la position et du sentiment éprouvé par le personnage, puis je m’attache à trouver le moyen de filmer son corps avec le plus de véracité possible. Avec une particularité : j’aime cadrer les visages en gros plan.

De quelle manière avez-vous dirigé vos acteurs ?

J’ai demandé à Samuel et à Léa d’avoir quinze ans. Je voulais en particulier que Léa ne se pose aucune question et joue comme si elle était une adolescente. Elle devait avoir les yeux qui pétillent et se conduire comme une gamine. Je ne voulais plus qu’on se pose la question d’une différence d’âge. J’ai malaxé mes acteurs avec l’amour passionné du cinéma pour obtenir l’excellence.

L’image du film est très peu contrastée. Pourquoi ?

J’ai horreur du contraste. Je me bats toujours à l’étalonnage pour qu’on ne contraste pas davantage l’image de mes films. J’aime l’évanescence, la blancheur des peaux. Je voulais que Léa ait les yeux bleu acier et qu’elle soit pâle. Je souhaitais également laisser entrer la lumière de l’été pour qu’elle inonde le cadre. Lorsque vous contrastez, vous ôtez toute poésie.

Quelles ont été vos inspirations au moment de mettre en scène ce long métrage ?

Pour chacun de mes films, mes maîtres sont les mêmes : Elia Kazan et Baby Doll (1956), mais aussi Ingmar Bergman avec La Nuit des forains (1953) et Persona (1966), ou encore Einsenstein avec Ivan Le Terrible (1944). Je puise également beaucoup dans l’art des grands maîtres de la peinture des XVIe et XVIIe siècles. Cette fois, je me suis inspirée du Caravage, qui est le plus cinématographique des grands peintres.