Drôles de Guerres, l’ultime geste de cinéma de Jean-Luc Godard

FILM ANNONCE DU FILM QUI N'EXISTERA JAMAIS : "DRÔLES DE GUERRES" © Saint Laurent - Vixens - L'Atelier

Quelques mois avant de quitter le 7e Art pour l’éternité, Jean-Luc Godard a bouclé un court métrage inédit de dix-neuf minutes que le Festival de Cannes a l’honneur de présenter en avant-première mondiale. Fabrice Aragno, l’un de ses plus proches collaborateurs, évoque la gestation de Drôles de guerres, une oeuvre bâtie pour « créer de la pensée ».

« Après Le Livre d’image (2018), Jean-Luc a souhaité adapter Faux passeports (1937), le roman de Charles Plisnier, composé de plusieurs chapitres qui abordent chacun un personnage différent évoluant entre la Révolution d’octobre 1917 et les Années 1930. Il avait l’idée de développer un projet autour de deux de ces personnages, dont un s’appelle Carlotta. Il avait imaginé pour ce film un scénario en six chapitres. Comme le « premier des nombres parfaits », ainsi qu’il se plaisait à le dire. Il a commencé par composer un livre de collages sur ces chapitres. Puis, les mois ont passé.

Jean-Luc souhaitait, pour certains des chapitres du film, tourner en 35 mm noir et blanc, en 16 mm et en Super 8 en couleur. Il voulait revenir à la manière de faire des films à l’époque de ses débuts, mais avec la distance d’aujourd’hui. Nous étions en janvier 2020. Pendant qu’il progressait dans son travail, j’ai commencé des essais techniques. Mais la crise du Covid et les confinements successifs ont considérablement freiné notre progression. Jean-Luc a de son côté continué à travailler sur papier. Il a développé des versions successives du scénario annonçant le film. C’était une sorte de quintessence du film à venir, un chemin vers son origine, et à travers lui, le film existait déjà !

 

« Jean-Luc a été cinéaste jusqu’à la veille de sa mort. Il l’est même au-delà, avec ce film qui est vivant ».

 

Jean-Luc a travaillé sur sa petite table en bois avec des moitiés de feuilles A5, de la colle, du Tipex, de la peinture, des photos… et il a réalisé une brochure d’une cinquantaine de pages, chacune devant constituer un plan. Puis il me l’a confiée avec des indications précises de durée en secondes pour chacune des pages. J’ai scanné la brochure et, sur une table de montagne numérique, j’ai assemblé les pages en appliquant ses indications de façon mathématique jusqu’à ce que cela constitue un film muet. Ensuite, il m’a envoyé, tracée à la main, une timeline avec des extraits audio de films ou d’archives sonores à associer à l’enchaînement des plans. Le film comporte deux moments de musique qui encadrent les présences du silence.

Je me souviens avoir monté le film sur ma table de cuisine, un matin d’hiver 2022 face au Léman. Jean-Luc avait imaginé son rythme sur du papier avec des post-it et des indications pour l’image et le son. Dans ma cuisine, seul ému, j’ai vu le film apparaître sous mes yeux. J’ai été complètement saisi. Jean-Luc a reçu le film quelques jours après. L’ayant vu, il nous dit, à Jean-Paul Bataggia et moi, qu’il s’agit son « meilleur film ». Il est d’une grande simplicité. L’agencement des images et du son, arrivant comme des couperets irréversibles, est d’une grande puissance. Le film est court mais il a du temps. Le film est court mais il a du temps, c’est le cinéma du présent. Et dans ce présent, dans les silences, la pensée est vivante, vibrante, ici et maintenant ».

Une production Saint Laurent by Anthony Vaccarello et Vixens, en coproduction avec L’Atelier.