Grand Angle : La place de choix du cinéma africain au Festival de Cannes

French-Senegalese director Ramata-Toulaye Sy (C) arrives with Senegalese actor Mamadou Diallo (L) and Senegalese actress Khady Mane for the screening of the film "Banel E Adama" (Banel and Adama) during the 76th edition of the Cannes Film Festival in Cannes, southern France, on May 20, 2023. (Photo by Valery HACHE / AFP) © Valery Hache / AFP

Avec deux films en Compétition et une dizaine de longs métrages dans les autres sélections et les sections parallèles, l’Afrique n’a jamais été aussi bien représentée à Cannes. La présence de Maryam Touzani, réalisatrice marocaine, et Rungano Nyoni, réalisatrice zambienne, au sein du Jury des Longs Métrages, illustre la nouvelle place qu’occupe le cinéma africain au sein du Festival de Cannes. Une réalité qui résulte de l’émergence de nouveaux acteurs ambitieux et visionnaires, dans tous les métiers de l’industrie.

En 1975, la présidente du Jury des Longs Métrages, Jeanne Moreau, remet la Palme d’or à Mohammed Lakhdar-Hamina pour Chronique des années de braise. Ce drame historique sur les prémices de la guerre d’Algérie est le premier film africain lauréat de la récompense suprême. Quarante-huit ans plus tard, la 76e édition dépeint l’Afrique de bien des façons, du conte romantique sénégalais dans Banel & Adama, au docu/fiction tunisien avec Les Filles d’Olfa, en passant par Goodbye Julia, métaphore d’une réconciliation entre les peuples soudanais. Du côté du Jury, la réalisatrice zambienne Rungano Nyoni a révélé dans un entretien avoir « l’impression de représenter le continent africain dans sa globalité », tant les attentes sont grandes pour ces cinéastes.

Le travail des industries cinématographiques des 54 pays qui composent l’Afrique a longtemps été occulté en dehors du continent. Dans certains États, comme au Mali ou au Soudan, les tensions politiques mettent à mal le monde de la culture et sont des freins à la création artistique. Pour Karine Barclais, fondatrice du pavillon des pays africains au Village International, l’épanouissement du Septième art en Afrique fait également face à un manque de formation technique parmi les professionnels : « Jusqu’en 2019, les producteurs pointaient des lacunes du point de vue du son et de la lumière. Nous avons voulu corriger le tir en mettant en place des formations spécialisées, qui ont porté leurs fruits. » À peine quatre ans plus tard, le long-métrage Banel & Adama, de la cinéaste sénégalaise Ramata-Toulaye Sy, brille en Compétition par ses paysages féériques et ses jeux de lumière signés Amine Berrada. Le directeur de la photographie marocain a également travaillé sur le court-métrage Ayyur (Lune) de Zineb Wakrim, qui vient de remporter le troisième Prix de La Cinef.

L’accès aux fonds est également une problématique contre laquelle se bat Karine Barclais. En cause, un manque de confiance des investisseurs dans le cinéma africain : « Les cinéastes qui veulent réaliser des films ambitieux se retrouvent vite bloqués par le budget. Beaucoup de producteurs associent encore l’Afrique aux films bon marché. Pourquoi les Africains n’auraient pas le droit de réaliser des films avec un budget de 6, 12 ou même 50 millions de dollars ? »

Cette question résonne auprès de certaines sociétés de production audacieuses, qui voient en l’Afrique un vivier de nouveaux talents. Sur la quinzaine de films africains projetés cette année à Cannes, la plupart sont en partie financés par des investissements français, allemands ou américains. Un signe de bon augure qui pousse de plus en plus de délégations étrangères en quête de projets à franchir le seuil du pavillon Afrique.

Parfois minoritaire, le cinéma africain à Cannes vivait tout de même de succès isolés comme Timbuktu (2014), du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako. Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser, comme l’avait prophétiquement annoncé le cinéaste malien Souleymane Cissé, lauréat du Prix du Jury en 1987 pour Yeelen : « La première tâche des cinéastes africains est d’affirmer que les gens d’ici sont des êtres humains. La génération qui nous suivra s’ouvrira sur d’autres aspects du cinéma. » Comme un signe que le vent tourne, Goodbye Julia, de Mohamed Kordofani, premier film soudanais de l’histoire du Festival, a reçu le Prix de la Liberté en sélection Un Certain Regard.