Le Théorème de Marguerite, le poids de la recherche vu par Anna Novion

Photo du film LE THÉORÈME DE MARGUERITE d'Anna Novion

L’avenir de Marguerite, brillante élève en mathématiques, semble tout tracé. Mais le jour de la présentation de sa thèse, une erreur bouscule toutes ses certitudes et l’édifice s’effondre. Dans Le Théorème de Marguerite, Anna Novion évoque la charge qui pèse sur les épaules des femmes immergées dans un milieu masculin.

Quel est le point de départ de votre long métrage ?

Je me suis souvenue d’une période où j’étais gravement malade. J’avais dû rester longtemps chez moi pour me soigner. J’avais une vingtaine d’années et je me rappelle avoir été comme isolée du monde. Quand j’ai guéri, j’ai senti qu’un décalage avec l’insouciance des jeunes de mon âge s’était créé. Quand je débute l’écriture d’un long métrage, je m’appuie toujours sur une émotion ressentie et l’idée, c’est de la transposer. L’atmosphère des grandes écoles et la façon dont les élèves vivent en vase clos pour se consacrer à leur travail m’a semblé propice à raconter cet enfermement.

Pourquoi s’être ancré dans le milieu des mathématiques ?

J’ai d’abord rencontré des littéraires des grandes écoles, mais ils ne semblaient pas si isolés que ça et même au contraire, plutôt ouverts au monde. J’ai trouvé les élèves en mathématiques bien plus inspirants. Et puis il y a eu ma rencontre avec Ariane Mézard qui a été déterminante. Elle est une des rares mathématicienne française et il y a eu un réel coup de cœur entre nous. La manière dont elle m’a présenté les mathématiques a provoqué quelque chose en moi. Elle les évoquait d’une manière artistique. Elle me parlait de tout ce qui m’anime dans mon métier.

C’est-à-dire ?

La passion, la nécessité, la difficulté, la ténacité, l’acharnement… Je me suis rendue compte qu’il y avait un vrai parallèle à faire entre les mathématiques et la création artistique. Ce qui relie les mathématiques et la réalisation, c’est le risque et la passion qui font que nous sommes parfois prêts à travailler des années sans savoir si notre travail va trouver une issue. C’est un film très personnel qui évoque mon rapport à la création. J’avais aussi envie de raconter ce que c’est d’être une femme dans un milieu masculin. J’ai éprouvé cette pression liée au fait d’être une sorte d’exception qui nous pousse à devoir prouver qu’on a sa place. Marguerite, mon personnage, se considère comme une forme d’anomalie. Elle ressent cette compétition d’autant plus qu’elle est la seule femme.

 

« C’est un film très personnel qui évoque mon rapport à la création. »

 

De quelle manière avez-vous préparé le film ?

J’ai passé quatre mois à l’École normale supérieure pour rencontrer des mathématiciens. Je ne voulais pas qu’ils se disent que j’avais survolé le sujet. Avec cette ambition : comment rendre des mathématiciens au travail captivants à l’écran quand on n’est pas initié ? L’idée, c’était de montrer à quel point faire des mathématiques, c’est travailler tout le temps.

Comment avez-vous collaboré avec Ella Rumpf ? 

Ella a travaillé quatre heures par semaine pendant quatre mois avec Ariane Mézard. Nous nous sommes vite rendu compte qu’il ne servait à rien qu’elle lui explique les mathématiques qu’elle allait écrire. Elle a donc appris les formules par cœur. Il fallait vraiment que cela paraisse extrêmement naturel à l’écran. C’est un rôle à l’américaine, pour lequel nous avons travaillé énormément la posture du personnage : sa manière de marcher, la façon dont elle s’exprime, le rythme de son débit de parole et la singularité de son regard sur les autres.

Visuellement, la lumière inonde le film crescendo. Pouvez-vous expliquer ce choix esthétique ?

Le personnage traverse plusieurs étapes vers son épanouissement. Il y a donc plusieurs étapes aussi dans la lumière et dans la composition des cadres. Sa vie est très cadrée au début, donc les plans sont assez géométriques et monochromes. Et petit à petit, avec l’irrationnel de la vie qu’elle va découvrir, dont le monde des sentiments, la lumière et la couleur apparaissent.