Marco Bellocchio ausculte le dogme religieux dans Rapito

L'ENLÈVEMENT © Kavac Film & IBCmovie

Un an après Esterno Notte, sa série sur l’enlèvement et l’assassinat en 1978 de l’ex-chef du gouvernement italien Aldo Moro, le cinéaste italien Marco Bellocchio s’empare d’un autre rapt qui a défrayé la chronique dans l’Italie du 19e Siècle. Dans Rapito, il raconte l’histoire d’Edgardo Mortara, un enfant né dans une famille de confession juive, enlevé par l’Église sur ordre du Pape pour être christianisé.

Quel est le point de départ de ce long métrage ?

Au départ, je ne savais rien de cette affaire. Je l’ai découverte dans un ouvrage de l’auteur très catholique et conservateur Vittorio Messori, qui abordait la vie d’Edgardo Mortara et défendait les raisons qui ont poussé le Pape à le séparer de sa famille. Son livre révèle les contradictions de Mortara sur le plan existentiel. Il semble qu’en plus de son enlèvement – que Messori passe d’ailleurs sous silence -, Mortara n’a pas jouit d’une vie très sereine. Il a revendiqué sa liberté et sa conversion spontanée pour devenir catholique. D’ailleurs, le film devait initialement s’intituler La Conversion. Le récit qu’en fait Messori trahit une souffrance, une angoisse permanente avec les contradictions qui l’habitaient.

Dans le film, vous traduisez cet état par une scène où il est tout prêt de faire tomber le Pape en voulant embrasser ses mains…

C’est exact. Il y avait certainement au fond de lui de très lourds conflits non résolus. Ceci dit, même si des pulsions très souterraines de rébellion semblent avoir subsisté dans sa conscience, il était incontestablement catholique. Il n’a jamais remis en question sa conversion à la foi catholique.

Comment avez-vous abordé l’étape du scénario avec Susanna Nicchiarelli ?

Outre celui de Messori, nous avons essentiellement basé notre travail sur les ouvrages de Daniele Scalise, qui évoque aussi cette affaire, et de David Kertzer, que Steven Spielberg a voulu adapter avant de se raviser. Comme pour Esterno Notte, nous nous sommes attachés à baser notre récit sur des faits historiquement indiscutables, et à laisser notre imagination s’insérer dans les espaces qu’elle avait laissés vacants. Nous avions très peu d’informations sur l’intimité des personnages. Nous avons respecté quelques pierres angulaires historiques pour bâtir la structure du film : l’enlèvement en 1858, le procès en 1860 et la prise de Rome en 1870.

 

« Je n’ai pas réalisé Rapito pour affirmer un principe politique ou tenir un discours contre l’église ».

 

Rapito s’interroge sur la différence entre foi et dogme. Qu’est-ce que votre film dit de l’Italie catholique d’aujourd’hui?

Il est évident que ce qu’a vécu Eduardo Mortara ne pourrait pas advenir aujourd’hui, à l’ère du dialogue et d’un pape extrêmement ouvert. À l’époque, il y avait effectivement, autour de la foi catholique, l’idée qu’elle n’était pas discutable. Mais Rapito n’est pas un film politique. Je ne l’ai pas réalisé pour affirmer un principe politique ou tenir un discours contre l’église. C’est un film qui n’est pas explicitement partisan d’un camp contre l’autre. J’ai été attiré et passionné par le destin de cet homme. Son histoire m’a procuré de l’émotion et de la tension. Pour moi, c’est la voie royale à la réalisation d’un film. Ma sympathie va clairement à cet enfant qui subit un acte d’une extrême violence.

Visuellement, vous avez beaucoup travaillé sur les clairs-obscurs et une coloration de tons très bruns. Pourquoi ?

Nous nous sommes inspirés de la peinture réaliste et romantique de l’Italie du 19ème siècle, une période durant laquelle l’Italie s’est construite et dont sont issues nombres de toiles avec des sujets militaires et familiaux. En ce qui concerne les décors, les costumes, les couleurs et les contrastes, nous nous sommes également basés sur des toiles issues de la grande tradition pré-impressionniste de la peinture italienne et française, tel Eugène Delacroix.

Le film doit beaucoup à la performance d’Enea Sala, l’incroyable jeune acteur qui interprète Edgardo Mortara…

Enea est un enfant qui n’a même pas été baptisé, qui n’est jamais allé à l’église, et qui n’est pas juif non plus ! Ce qu’il donne à voir à l’écran, c’est son ressenti du personnage et il l’interprète en évitant cette manière qu’on les enfants d’imiter ce qu’ils voient à la télévision. Il a apporté quelque chose de très profond à son rôle et c’est une richesse extrême pour le film. Je voulais qu’il se sente libre. L’implication à son égard des autres acteurs du film a également été déterminante. Le risque, c’était qu’il joue comme une marionnette.