Portrait d’une muse et de son peintre par Martin Provost

BONNARD PIERRE ET MARTHE © Carole Bethuel

César du meilleur film en 2009 avec Séraphine, le réalisateur français Martin Provost dépeint une nouvelle fois la vie d’un artiste avec Bonnard Pierre et Marthe. Avec Vincent Macaigne et Cécile de France dans les rôles titres, la double biographie présentée à Cannes Première explore la relation passionnelle et artistique entre Pierre Bonnard et sa femme Marthe, qui figure dans la plupart des œuvres du peintre. Entretien avec le réalisateur.

D’où part l’idée du film ? Est-ce un projet de longue date ?

Après avoir travaillé sur Séraphine, j’ai été approché par la petite nièce de Marthe Bonnard, qui voulait que je réalise un film sur sa grande tante. Elle trouvait qu’elle n’avait pas la reconnaissance qu’elle méritait dans l’œuvre de son mari. Je venais de réaliser un film sur une artiste peintre, je n’avais pas envie d’en refaire un autre tout de suite. C’est pendant le confinement que le projet s’est réellement mis en place.

Pendant vos recherches, qu’est-ce qui vous a marqué dans la vie de ce couple d’artistes ?

Marthe a menti sur son identité, elle s’est fait passer pour une princesse italienne ruinée. On ne sait pas vraiment si Pierre Bonnard faisait semblant ou non de la croire. C’est toujours facile de parler des autres, mais l’intimité d’un couple est mystérieuse, presque sacrée. J’ai essayé de me rapprocher de ce mystère dans le film.

Les œuvres de Pierre Bonnard ont-elles exercé une influence sur la photographie du film ?

Oui, bien sûr. Pierre Bonnard est « le peintre de la lumière », donc avec Guillaume Schiffman, le directeur de la photographie, nous avons essayé de trouver une lumière unique, à contrecourant de celle des films d’époques, comme on en voit partout. C’est un film très lumineux.

Bonnard Pierre et Marthe est aussi l’occasion de quelques premières collaborations. Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir Vincent Macaigne et Cécile de France pour les rôles titres ?

Vincent Macaigne et moi-même avions un fort désir de travailler ensemble. Pourtant, tout le monde me disait qu’il n’avait rien en commun avec Pierre Bonnard. J’ai pris ça comme un défi : j’aime transformer les gens, je l’ai prouvé dans mes films précédents. Quand Ben Kingsley a joué Gandhi, il s’est transformé. Je pense que Vincent Macaigne a également cette capacité et il le prouve dans le film.

Quand j’ai rencontré Cécile de France, je l’ai trouvée tellement lumineuse. J’ai su qu’elle pourrait apporter à Marthe ce quelque-chose qu’on ne voit pas au premier abord. Cela permet de rajouter cette dimension mystérieuse, éternelle, au couple.

Qu’est-ce qui vous intéresse autant dans les portraits d’artistes ?

Je veux montrer qu’il est possible de devenir artiste malgré des origines modestes. Pour Violette Leduc, c’était possible. Pour Séraphine, femme de ménage, également. J’aime les autodidactes qui osent défier les lois sociales pour sortir de leur milieu. C’était le cas de Marthe Bonnard et elle a eu une vie exceptionnelle.

Faut-il comprendre Pierre Bonnard pour apprécier pleinement son œuvre ?

Je ne crois pas. Vouloir tout intellectualiser est l’un des défauts de notre époque. Je pense qu’une œuvre se reçoit, elle est intuitive. Un tableau ou un film, ça n’a rien d’intellectuel. C’est sensuel, c’est physique. Ça crée des émotions et ça peut vous mener à un endroit de vous que vous ne connaissiez pas.