Rencontre avec Damián Szifron, membre du Jury des Longs Métrages

Damian Szifron © Maxence Parey / FDC

En 2014, son film à sketch Relatos Salvajes (Les Nouveaux Sauvages) enchante la Compétition et revisite le thème de la vengeance : quel genre de chaos crée-t-on quand toutes les mauvaises pensées qui nous traversent se concrétisent dans la vraie vie ? L’Argentin Damián Szifron, membre du Jury des Longs Métrages de cette 76e édition, revient sur sa filmographie.

Que feriez-vous si vous étiez dans l’avion des Nouveaux Sauvages ?

J’essaierais de sauver les gens ! Quand j’écris les histoires, je pense au spectateur qui peut s’identifier à l’angoisse ou à la douleur de certains personnages, et traverser la frontière vers la barbarie ou la folie sans vraiment le faire dans la vraie vie. C’est l’effet cathartique du cinéma en général. De mon côté, il y a des films qui ont changé ma vie, ma façon de penser, et j’ai pris des décisions en fonction de ces changements : le cinéma a un pouvoir transformateur.

Quels films, par exemple ?

Sur les Ponts de Madison m’a beaucoup marqué. Par rapport à l’amour, au couple. Je me suis identifié au personnage de Meryl Streep à cette époque. C’est un film qui vous force à réfléchir, qui vous met au défi, qui vous pousse à regarder votre propre vie et dire : « Je suis bien ici, je fais ce que je veux » ! Il y a des œuvres comme celle-ci qui m’ont rapproché du cinéma, qui ont fait de moi un réalisateur ou qui ont cimenté ce chemin.

Et dans votre enfance ?

Quand j’étais très jeune, à l’âge de trois ans, le Superman de Richard Donner a eu un grand impact sur moi. Voir Superman au cinéma, c’est le premier souvenir que j’ai de la vie. La taille de l’écran, la musique de John Williams, Superman et Lois Lane volant à travers les étoiles, ce noir pur du ciel, vous imaginez ! Ce film est entré dans la partie la plus profonde de mon cerveau et je ne l’ai jamais oublié. C’était « Bigger Than Life ».

Revenons aux sentiments. En quel sens la vengeance est-elle un terrain fertile pour créer, pour écrire des histoires ?

Dans Les Nouveaux Sauvages comme dans Misanthrope, mon nouveau film, ce thème apparaît. Dans Les Nouveaux Sauvages, c’est une vengeance plus proche d’un spectateur normal et de sa vie quotidienne. Dans Misanthrope, cela ressemble plus à une vengeance un peu biblique. C’est la fureur déchaînée contre l’espèce. Et dans la série Los Simuladores, qui a eu beaucoup de succès en Argentine, les dommages que certaines personnes font à d’autres individus, dans les secteurs de la politique, de l’entreprise, génèrent une douleur très forte qui ne peut être satisfaite que par une réponse active et concrète pour éliminer cette tension. Ҫa, j’ai l’impression que très humain. Comme pour la sexualité, lorsqu’une tension apparaît… L’orgasme est l’élimination de cette tension. En amour, quand il y a douleur et souffrance, ces tensions doivent être relâchées d’une manière ou d’une autre, au risque de causer des dommages internes.

C’est donc un sujet que j’aime, un peu tabou, et le cinéma est un moyen très puissant de le travailler. Là, j’intellectualise, mais au moment d’écrire, c’est plus organique. Je sens que le cinéma a une capacité, pour celui qui le fait comme pour celui qui le voit, presque d’exorcisme, cathartique, que ce soit par le rire, les pleurs, la tension ou l’émotion.

 

« Le bon cinéma vous révolutionne à l’intérieur. »

 

Vous avez tourné votre dernier film en anglais. Est-ce différent de tourner dans une autre langue ?

La langue c’est une chose, et c’est aussi une autre industrie, un autre pays et une autre tradition. Misanthrope est une production américaine, un thriller que j’ai tourné à Montréal, entièrement en anglais. C’était une expérience très intense, très difficile, un projet très compliqué. Ce n’est pas la même chose que de tourner dans son pays avec des amis de longue date, des producteurs que vous connaissez déjà. En résumé, je me suis un peu senti comme le chien de « L’Appel de la forêt » de Jack London, qui commence sa meilleure vie de chien dans une belle maison, ils lui donnent à manger, il est extrêmement choyé, devant la cheminée, puis le propriétaire meurt, et l’une des personnes qui travaille dans cette immense maison le vend à des gars qui passent dans la rue.

Quel personnage des Nouveaux Sauvages êtes-vous ?

Je suis la somme de tous. Mais pour moi, une bonne écriture ne consiste pas à contrôler ce que font les personnages, mais à créer une base très solide et à les laisser parler. C’est un peu ce qui se passe avec les enfants : ils ont votre génétique, celle de votre partenaire, on les élève, et soudain ils vous surprennent avec des phrases, des décisions, des goûts et des désirs qui n’étaient pas prévus ou imaginés et auxquels on se sent étranger. Ils ont une personnalité que l’on a contribué à créer dans une large mesure, mais qui acquiert ensuite son indépendance. En ce sens, je suis tous les bons, les méchants, la somme de tout ça. Je suis un témoin respectueux du destin que les personnages délimitent eux-mêmes, et de l’interconnexion entre eux.