Rencontre avec Émilie Dequenne, membre du Jury Un Certain Regard

Emilie Dequenne © Amandine Goetz / FDC

Révélée à 17 ans par les frères Dardenne dans Rosetta, Émilie Dequenne s’impose comme une actrice incontournable du cinéma français à partir du début des années 2000. Attachée au registre dramatique, la comédienne belge s’illustre dans des films de Claude Berri, Catherine Corsini ou encore André Téchiné. Son rôle dans À perdre la raison (2012), de Joachim Lafosse, lui offre un second Prix d’interprétation féminine à Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Onze ans plus tard, Émilie Dequenne retrouve cette sélection en tant que membre du Jury, aux côtés du président John C. Reilly. Entretien.

 

Deux prix d’interprétation féminine à Cannes, trois Magritte de la meilleure actrice, un César du meilleur second rôle… Que vous ont apporté ces prix ?

Ils m’ont apporté de la confiance en moi. C’est un booster, ça donne envie de continuer. Chaque prix a son histoire. Les premiers m’ont permis d’avoir le choix. Ils m’ont donné la force d’asseoir, très jeune, une sorte de légitimité. Recevoir un prix me conforte dans le choix de continuer à vivre de ma passion.

En 1999, vous obteniez le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, c’était votre premier rôle au cinéma. Comment gère-t-on un tel début de carrière à seulement 17 ans ?  

Démarrer aussi fort et aussi vite m’a permis de rester concentrée sur le fait que je voulais faire ce métier le plus longtemps possible. Je sais qu’à 17 ans, on peut vite vriller dans une sorte de quête qui n’est pas forcément la bonne. Ça n’a pas du tout été mon cas. Je viens d’une famille qui a les pieds sur terre, j’étais très bien entourée. Quand j’ai manifesté le souhait de faire ce métier, mes parents m’ont poussée à prendre des cours, à faire un maximum de choses en lien avec ma passion, tout en me rappelant qu’il était important de continuer l’école. Ils ont été très sélectifs dans mes choix de castings. Quand ils ont vu que les frères Dardenne cherchaient une actrice, ils m’ont dit : « Oui, tu peux y aller. »

Quel impact a eu le Festival de Cannes sur le cinéma belge ?

Le Festival a eu un impact très fort. Ça a commencé avec des cinéastes comme Jaco Van Dormael ou Chantal Akerman. Au moment de Rosetta, en 1999, il y a eu un impact positif qui a développé de vraies possibilités pour la création cinématographique belge. Aujourd’hui, on continue de se battre pour la préserver.

Quand on est un jeune acteur ou une jeune actrice, est ce qu’il y a des pièges à éviter ?

Notre pire ennemi, c’est nous-mêmes. Je pense que les pièges sont d’abord là. Cela étant, je pense qu’il faut apprendre la patience. C’est un métier très difficile, on dépend forcément du désir des autres. Beaucoup de gens veulent être comédiens, mais ils n’ont pas la garantie d’être désirés. Il faut être patient et réfléchi.

Qu’est-ce qui vous plaît dans les rôles dramatiques ?

Ce sont les rôles qui me touchent le plus. Je n’arrive pas à aller vers un projet ou un personnage qui ne me touche pas. La comédie me plaît mais ce n’est pas facile à mettre en œuvre. Le rire me touche, mais j’aime quand ça m’échappe. Dans les rôles dramatiques, il y a quelque chose qui se rapproche de la vérité et qui va plus facilement m’attraper.

Avez-vous des acteurs/actrices modèles ?

Je pense toujours à Daniel Day-Lewis, qui est brillant dans Au nom du père de Jim Sheridan. C’est mon film de chevet. Il y aussi Kate Winslet dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry. Et comment ne pas citer Isabelle Huppert dans La Cérémonie de Claude Chabrol.

Vers quels rôles voulez-vous aller aujourd’hui ?

Je n’en ai aucune idée, et chaque projet arrive encore à me surprendre. Je pense que quand on essaye d’avoir un objectif précis, on finit par être déçu. Je préfère ne pas savoir et me laisser surprendre par les scénarios que je reçois. J’aime la nouveauté, ce qui relève du challenge.

 

« Si on ne donne pas vie à notre rôle, on peut devenir l’assassin d’un personnage qui existe aux yeux d’un scénariste ou d’un metteur en scène. »

 

Qu’est-ce qui vous a mis le plus au défi dans votre carrière ?

Je me sens en danger avec chaque personnage. Si on ne donne pas vie à notre rôle, on peut devenir l’assassin d’un personnage qui existe aux yeux d’un scénariste ou d’un metteur en scène. Chaque début de tournage est un gros risque pour moi, les premiers jours de travail me terrifient. C’est très stressant car c’est une question de vie ou de mort pour les personnages. On me confie quand même la « vie » de quelqu’un.

Et quels sont vos prochains projets ?

Il y en a beaucoup à venir. Le film de Christine Dory, La Fille d’Albino Rodrigue, vient de sortir dans les salles. Il y a également Marinette, qui sort le 7 juin. Garance Marillier incarne Marinette Pichon dans ce film biographique sur la vie de cette grande joueuse de football. J’ai vraiment hâte, j’espère que les gens seront curieux parce que ça vaut le détour.