Rencontre avec Maryam Touzani, membre du Jury des Longs Métrages

Maryam Touzani © Maxence Parey / FDC

D’abord critique de cinéma, Maryam Touzani se tourne très vite vers la réalisation et signe, avec Quand ils dorment (2011) et Aya va à la plage (2015) deux courts-métrages remarqués qui illustrent déjà son regard singulier. Ses deux premiers longs métrages, Adam (2019) et Le Bleu du Caftan (2022), sont sélectionnés à Cannes au Certain Regard et présélectionné aux Oscars. Membre du Jury des Longs Métrages de cette 76e édition, elle revient sur son processus créatif.

Chaque réalisateur a une manière d’approcher la réalisation. Quelle est la vôtre ?

Tout débute toujours par une émotion qui déclenche en moi un désir d’écriture. Je ne part jamais d’une réflexion construite. Je fais des films que parce je n’arrive plus à étouffer quelque chose que je ressens et qui est plus fort que moi. C’est comme si, petit à petit, des personnages se rencontraient à l’intérieur de moi et que des histoires commençaient à cheminer. Ce que je recherche avant tout, c’est la vérité de mes personnages et de mon histoire. Mes scénarios sont très écrits et les images, les textures, les couleurs, les sensations ou les silences sont très présents dès cette étape du processus. Ce qui me passionne, c’est explorer l’humain.

Ce sont vos personnages qui vous dictent l’histoire ?

Je me laisse submerger par les personnages et je les découvre au fur et à mesure que j’écris. Je ne sais jamais vraiment où ils vont me mener et ce que j’ai envie de creuser à travers eux. Tout vient par petites touches. Puis, soudain, il y a un déclencheur qui me fait entrer dans un tunnel d’écriture. Je me laisse surprendre par des choses inattendues. C’est une véritable expérience pour moi.

Quelle étape du processus de fabrication préféreriez-vous complètement déléguer ?

Aucune ! J’aime toutes les étapes pour différentes raisons, même si l’écriture est au cœur de mon désir. C’est une étape très intense pour moi. Je vis vraiment l’écriture émotionnellement. J’adore également l’étape de la préparation et du repérage : passer du temps à préparer mes décors, à choisir les couleurs, les textures, les costumes… Pour moi, c’est un vrai bonheur de pouvoir me donner le temps de faire vivre ces scènes avant de les tourner.

Une fois sur le plateau, laissez-vous la porte ouverte à l’inattendu ?

Mes scénarios sont très écrits et ils laissent en général peu de place pour l’improvisation. Mais je suis ouverte à ce que l’environnement dans lequel je tourne amène au film. J’aime tourner dans des décors naturels, dans des endroits qui ont une âme, dans les quartiers où il y a de l’interaction. Mais s’agissant de l’écriture et des dialogues, c’est assez figé.

 

« J’aime que la caméra s’efface, en réduisant la distance, pour être vraiment dans la peau des personnages. »

 

Comment dirigez-vous vos acteurs ?

J’aime préparer mes scènes visuellement, travailler la lumière avec ma chef-opératrice en amont. J’aime avoir cette base. Ensuite, avec les comédiens, j’essaye d’aller chercher l’émotion lors du tournage des scènes. Je n’aime pas la rechercher au cours de répétitions. Il arrive que nous répétions l’action, mais jamais l’émotion. Pour moi, l’important est que nous soyons dans l’émotion juste. Cela passe beaucoup par le dialogue avec les comédiens. L’émotion n’est pas quelque chose de figé car nous sommes humains. Faire du cinéma, c’est aussi savoir se nourrir de tout ce que les comédiens ont à lui apporter.

Vous vous êtes intéressée à la prostitution, à la grossesse hors mariage ou à la question de l’homosexualité, interdite au Maroc. Qu’est-ce qui vous amène à vous saisir de ces sujets brûlants ?

Mon moteur, c’est l’humain. Je ne suis jamais dans une réflexion et je ne pense pas en termes de thématique à traiter au moment de créer un film. Je me laisse porter par des choses que je ressens. Ces ressentis peuvent arriver à la suite d’une rencontre avec des personnes ou après avoir arpenté un lieu qui m’a marqué. Avec le recul, je me rends compte que les histoires qui me touchent concernent des personnages un peu à la marge, qu’on ne voit pas et qu’on n’entend pas. Je porte en moi un désir inconscient de pouvoir leur donner une voix et un visage. Ils charrient leur thématique, leur vérité et sont parfois en conflit ou en contradiction. En général, ce sont des personnages complexes dans une société qui l’est tout autant.

Votre mise en scène, très douce, contraste toujours avec le sujet que vous abordez…

J’aime être le plus proche possible de mes personnages. Que ma caméra s’efface en réduisant la distance pour être vraiment dans leur peau. Le cinéma, c’est aussi l’expérience d’une autre réalité, c’est s’effacer face à quelqu’un d’autre et être dans sa réalité afin qu’une connexion intime se crée. Le cinéma que j’aime est celui de l’intime. C’est peut-être la raison pour laquelle je m’enferme souvent avec seulement quelques personnages. Je peux ainsi sonder leurs âmes plus facilement. Pour moi, les détails sont d’une importance immense.

Qu’est-ce que votre cinéma dit de cette société marocaine ?

Que c’est une société complexe qui porte en elle un désir d’expression puissant et qui a beaucoup de singularité. Autour de la question des femmes, le désir de dialogue est très présent. Nous ressentons un besoin que les choses avancent. C’est une société très riche qui me passionne.