The Old Oak, le troisième volet engagé de Ken Loach et Paul Laverty
Quatorzième film en compétition pour Ken Loach, lauréat de la Palme d’or à deux reprises avec Le Vent se lève (2006) et I, Daniel Blake (2016). À 86 ans, le cinéaste continue à dénoncer sans relâche le cynisme infernal de l’administration britannique, en duo avec Paul Laverty, scénariste de toujours. Au centre de l’intrigue, The Old Oak, le dernier pub d’une ancienne cité minière du nord-est de l’Angleterre, cristallise toutes les problématiques de la ville. TJ (Dave Turner), tenancier du pub, se lie d’amitié avec Yara (Ebla Mari), une jeune réfugiée de la guerre en Syrie. Entretien croisé avec Ken Loach et Paul Laverty.
Ken Loach
Le film parle de conflits, de privation et d’aliénation par rapport à la négligence, aux dirigeants politiques qui se nourrissent de la pauvreté. Il s’agit d’une ancienne région minière d’Angleterre, dans le Nord-est. Le parti de droite, les Tories, qui a fermé les mines, était déterminé non seulement à fermer l’industrie, mais aussi à détruire les communautés. La région a été négligée au cours des 40 dernières années. Bien que l’esprit de solidarité des mineurs soit toujours présent, il y a aussi de l’insatisfaction et un manque d’espoir. Dans cette région arrivent des réfugiés syriens traumatisés par la guerre, chargés de sentiments négatifs. La plupart ne parlent pas l’anglais. Comment font-ils face à la situation et comment ces deux groupes trouvent-ils un moyen de vivre ensemble ? Et le peuvent-ils ? C’est toute la question de ce film.
Paul Laverty
Oui, ce qui est fascinant, comme Ken l’a mentionné, c’est que depuis la grève des mineurs de 1984, beaucoup de ces communautés ont été oubliées, aliénées. Et quand vous allez leur rendre visite aujourd’hui, vous voyez qu’elles ont perdu tout ce qui fait fonctionner une ville, une communauté : la bibliothèque, l’église, le pub, les façades de magasins sont barricadées. C’est une grande tragédie. Il y a beaucoup de communautés en grande difficulté mais en même temps, il y a beaucoup d’espoir dans cette histoire.
Ken Loach
Paul écrit toujours des personnages complexes. Le vieux pub est le lieu public central, le bar du centre du village. Et l’homme qui le tient est un ancien mineur, un militant qui a œuvré pour le rassemblement des gens. Après l’achat du pub, le village s’effondre, et ses espoirs s’amenuisent. Il voit les décombres autour de lui et il lui est très difficile de rester optimiste dans ces circonstances. D’une certaine manière, c’est un homme résigné à une situation d’échec.
Avec ce film, nous voulions élargir le sujet à la notion d’espoir. Comment les gens parviennent-ils à construire, ensemble et malgré tout, une vie décente ?
Paul Laverty
Je pense qu’il est intéressant également de voir comment ce film se rattache à nos deux précédents. C’est en fait la clé pour comprendre comment nous en sommes arrivés à un monde où il y a eu I, Daniel Blake et Sorry we missed you. Comment est-on passé d’une organisation cohérente de la classe ouvrière au monde des Applis de Sorry we missed you, où les gens travaillent jusqu’à quatorze heures par jour ? Comment ce changement de paradigme s’est-il produit ? Comment en arrive-t-on à des gens comme Daniel Blake, ouvrier compétent désormais systématiquement maltraité par un système bureaucratique ? Cela fait partie d’une politique. Il faut revenir en arrière, à 1984, pour voir ce qui s’est passé dans le monde de The Old Oak. Il s’agit d’essayer de démêler cela.
Ken Loach
Avec ce film, nous voulions cependant élargir le sujet à la notion d’espoir. Où les gens le trouvent-ils ? Comment parviennent-ils à construire, ensemble et malgré tout, une vie décente ?