Cannes 2024 : l’identité en question

VIVRE, MOURIR, RENAÎTRE ©ARP

Cette année, les représentations LGBTQIA+ occupent une place particulière dans la Sélection officielle. Elles sont portées à l’écran par des cinéastes confirmés comme par des talents émergents, partout dans le monde, en documentaire et en fiction.

La transidentité à l’écran, côté fiction et côté doc

Une actrice trans pour jouer une transition à l’écran. Le défi est relevé par Karla Sofía Gascón dont la performance dans Emilia Pérez de Jacques Audiard compte parmi les plus marquantes de la Compétition.

“ Nous, les trans, on est comme tout le monde. ” Karla Sofía Gascón
Actrice dans EMILIA PĖREZ

“Qu’on soit LGBT ou ce que vous voulez, on est des gens normaux, a lancé l’actrice lors de la conférence de presse du film. Et on peut se consacrer aux carrières que l’on choisit, que ce soit à l’enseignement ou au métier d’acteur. »

Comme Karla Sofía Gascón, les cinq femmes de La Belle de Gaza (Séance Spéciale) crèvent l’écran. La différence, c’est qu’elles ne sont pas actrices. Talleen, Israela, Nathalie, Danielle et Nadine se racontent devant la caméra sensible de Yolande Zauberman.

“ Dans les anciens temps, les trans étaient des déesses et j’avais envie de leur rendre cette place. ” Yolande Zauberman
Réalisatrice de LA BELLE DE GAZA

Palestiniennes et israéliennes, ces femmes ont fait la cruelle expérience de la rue et de la prostitution. Bien que certaines soient devenues des icônes, leurs itinéraires racontent la fascination et la répulsion qu’elles peuvent inspirer, mais surtout une quête de liberté.

Christophe Honoré travestit Chiara Mastroianni

Délicat exercice que de porter le costume de son père. Dans Marcello Mio, Chiara Mastroianni réussit ce pari, dirigée par Christophe Honoré. Si le film projeté en Compétition interroge la place de l’actrice dans sa légendaire famille de cinéma, il brouille le spectre du genre. “C’est aussi l’histoire d’une actrice qui se demande si, pour elle, une carrière d’acteur est possible”, explique Christophe Honoré.

“ C’est une histoire totalement ludique qui jongle avec les identités. ” Christophe Honoré
Réalisateur de MARCELLO MIO
Le tabou persistant de l’homosexualité dans le monde

Adi, le personnage principal de Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, est passé à tabac lorsqu’il est surpris en compagnie de son amour d’été. Pour sa première entrée en Compétition, Emanuel Parvu met en scène un personnage homosexuel, une rareté dans le cinéma roumain, pour dépeindre l’homophobie ordinaire au sein d’une micro société.

“ Il est important pour moi d’étudier la manière dont la société réagit à l’injustice et de critiquer ses modes de pensée obtus. ” Emanuel Parvu
Réalisateur de TROIS KILOMÈTRES JUSQU'À LA FIN DU MONDE

Parler d’homosexualité, quitte à compromettre la sortie de son projet ? C’était la crainte de Minh Quý Trương qui présente Việt And Nam au Certain Regard, réflexion sur la lourde histoire du pays à travers l’histoire de deux travailleurs dans une mine. Le film a effectivement été interdit par le Ministère de la Culture et ne sera distribué ni au Vietnam, ni à l’étranger, mais pour un tout autre motif : ‘Le titre et le contenu du film, son idéologie et son thème montrent une vision sombre, sans issue et négative du pays. »

Un cadre plus qu’un sujet

La presse aime à qualifier son cinéma de queer mais Alain Guiraudie réfute cette allégation pour Miséricorde : “Le terme m’emmerde un peu parce que la signification de queer c’est “bizarre”.” Celui qui définit son film comme un “thriller érotique sans acte sexuel” posait déjà ce constat en 2013 pour L’Inconnu du lac (Prix de la mise en scène Un Certain Regard 2013) :

“ J’aime bien l’idée que ça ne fasse pas de nous un hétéro d’avoir un enfant avec une nana, ça ne fait pas de nous un homo de coucher avec un mec. ” Alain Guiraudie
Réalisateur de MISĖRICORDE

Alain Guiraudie met en scène des relations homosexuelles, mais elles ne sont pas le sujet-même de ses films, plutôt des prétextes pour parler d’érotisme et de désir.

L’irruption du Sida, du côté de la vie

En se plongeant dans les années 1980 et 1990, deux films nous ramènent à la sidération des années Sida. En Compétition, The Apprentice d’Ali Abbasi revient sur l’ascension de Donald Trump et, au fil de l’intrigue, on comprend que son mentor, Roy Cohn, est atteint de la maladie en plein maccarthysme, rappelant le tabou et la terreur autour de l’épidémie.

À Cannes Première, le sujet est au cœur de Vivre, Mourir, Renaître de Gaël Morel, l’histoire d’un trio frappé par l’irruption du virus. “C’est une love story du côté de la vie qui continue et s’obstine malgré le tragique en embuscade, décrit le réalisateur. C’est un film que j’espère consolateur, réparateur.” Au-delà de la sidération et des drames qu’occasionne le Sida, Gaël Morel fait le choix d’ouvrir un horizon optimiste.