Entretien avec Pierfrancesco Favino, membre du Jury des Longs Métrages

Pierfrancesco Favino est de ces acteurs qu’il suffit de voir une fois à l’écran pour ne plus jamais oublier. Lui qui s’est d’abord rêvé en Louis de Funès italien, a finalement tutoyé les sommets du cinéma d’auteur. Conversation avec un comédien aussi généreux que militant, qui est devenu l’acteur transalpin le plus en vue de sa génération.

De quelle manière le cinéma est-il arrivé jusqu’à vous ? 

Je ne crois pas qu’il y ait eu un élément déclencheur en particulier. Le cinéma a toujours été un loisir que nous aimions partager en famille. Dans notre quartier de Rome, il y avait un tout petit cinéma dans lequel mon père m’emmenait souvent le dimanche matin. La première chose que le cinéma m’a donnée, c’est donc de passer du temps avec mon père. C’était un lieu encore plus magique pour moi car il représentait un rituel familial. Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser à ce que je voyais à l’écran.

Vous aviez un acteur fétiche auquel vous vouliez ressembler ? 

Pour moi, l’acteur ultime, quand j’étais petit, c’était Totò, même si je le voyais surtout à la télévision. J’étais aussi complètement fasciné par Louis De Funès et les comédies.

À l’image d’un Marcello Mastroianni ou d’un Vittorio Gasman, vous faites très facilement le pont entre les films d’auteur et les comédies populaires. C’est important pour vous de parler aussi bien au grand public qu’aux cinéphiles ?

J’ai mis un peu de temps à entrer dans la grande famille du cinéma d’auteur. Cela dit, j’accorde peu d’importance à ce genre de classification car pour moi, il n’y a qu’un cinéma. Que ce soit une comédie ou un drame, l’important c’est que la lumière s’éteigne dans la salle et que je sois transporté. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il soit intéressant, pour un acteur, de se spécialiser. J’ai toujours pensé que je deviendrais un acteur de comédie. Mais le destin m’a amené à ailleurs. Je ne crois pas qu’il y ait une frontière entre les deux, même s’il me semble plus facile de passer de la comédie au cinéma d’auteur que l’inverse.

Vous avez confié un jour que vous entreteniez un rapport très particulier à la caméra, à savoir que vous la pensiez capable de lire en vous…

Je crois en effet que la caméra possède un pouvoir très mystérieux capable de lire dans l’être humain. Cela va même au-delà de la capacité, du talent ou de la technique d’un acteur. Elle arrive à découvrir ce que nous cachons au fond de nous. C’est de cette manière qu’elle réussit à créer un lien avec le spectateur. Il y a une fragilité chez Marlon Brando ou chez Meryl Streep, quelque chose de caché dans leurs yeux d’êtres humains que la caméra réussi parfois à rendre tangible. Et lorsque la caméra parvient à montrer cela, le lien devient total et inoubliable.

“ Faire du cinéma, ou tout autre forme d'art, c'est déjà un acte militant en soit ”

Qu’est-ce qu’un bon acteur selon vous ? 

Je crois qu’un bon acteur, c’est avant tout un être humain généreux. C’est quelqu’un qui est prêt à faire le sacrifice d’être mis au jour et de partager des fragilités auxquelles le spectateur peut s’identifier. J’ai compris l’importance d’être généreux sur les plateaux depuis peu.

Comment préparez-vous vos rôles ? 

L’histoire est pour moi ce qui importe le plus. Par ailleurs, je crois qu’un acteur doit surtout travailler ce qu’il ne doit pas faire, plutôt que ce qu’il doit faire. Car il y a tous les millions, les milliards de nuances que les acteurs peuvent amener à la réalisation du film. Cela dit, on voit parfois de grands acteurs livrer des interprétations incroyables. Mais quel est l’interêt si ce n’est pour servir une bonne histoire ?

Il y a un rôle, un personnage qui vous a changé en tant qu’acteur et en tant qu’homme ? 

C’est probablement une réponse banale, mais je crois que chaque personnage que j’ai rencontré, chaque petit pas que j’ai effectué à ses côtés, m’a changé. Il est donc important de se laisser faire par nos personnages et de voir où cela nous mène en tant qu’acteur.

En Italie, beaucoup de films policiers sortent en ce moment et rencontrent le succès. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a effectivement en Italie un retour à cette période de l’histoire où le policier était un genre prépondérant. Il y a parfois des modes. C’était une époque où l’Italie avait un rapport parfois conflictuel avec les règles. C’est signe d’une certaine vitalité, et j’espère que cela va continuer, mais cela témoigne aussi, je crois, du moment politique difficile que nous traversons.

Vous avez endossé les costumes de personnages politiques fascinants dans des films qui abordent les tourments de l’Italie. C’est votre côté militant ?

Il est vrai qu’il m’est arrivé de jouer des rôles dans des films qui ont une portée politique. Mais je crois que faire du cinéma, ou tout autre forme d’art, c’est déjà un acte militant en soit car grâce à l’art, nous pouvons fixer le temps qui nous échappe et représenter l’histoire. De mon côté, je crois que je suis militant au quotidien. Mon choix d’être acteur et de faire partie de ce milieu, c’est militant. De cette manière, je fais partie de l’histoire.