Paris, Texas restauré, 40 ans après sa Palme d’or

Quelle relation entretenez-vous avec Paris, Texas ?

40 ans, c’est long dans la vie d’un réalisateur, mais aussi dans celle d’un film. J’avais 38 ans quand j’ai tourné Paris, Texas. J’en ai plus du double aujourd’hui. Sur une période aussi longue, le film et son réalisateur peuvent théoriquement évoluer dans des directions complètement différentes. Je n’ai pas l’impression que ce soit le cas. Ce que j’ai ressenti très fortement, en revanche, c’est une sorte de foi aveugle dans les éléments dont je disposais en 1983. Enfin, je retrouvais Robby, après un hiatus de 6 ans, et je pouvais travailler avec Sam Shepard et Ry Cooder, deux collaborations que le studio avait empêchées pour Hammett. Claire Denis était ma première assistante, et Harry Dean et Nastassja Kinski étaient tous deux au meilleur de leur forme. J’avais une histoire à laquelle je croyais vraiment, plus que jamais auparavant. J’avais l’impression de naviguer sur une grande rivière et tout ce que j’avais à faire était de maintenir le bateau dans le courant. Et je tournais dans mon endroit préféré, l’Ouest américain, qui m’inspirait tellement que Robby et moi ne planifiions nos décors que la veille. Nous nous sommes simplement levés chaque matin et avons laissé les paysages nous dire où placer
notre caméra.

Vous avez supervisé la restauration du film. Quelles en ont été les étapes ?

Il suffit de penser à la progression et au degré d’excellence de la technologie des films analogiques – la chimie ingénieuse qui a permis de conserver les magnifiques images des 100 premières années de l’histoire du cinéma, s’est trouvée soudainement dépassée, jusqu’à ce que la technologie numérique soit suffisamment raffinée pour capturer toute la profondeur de l’information contenue dans chaque image du film. La numérisation des films analogiques est l’étape la plus cruciale : la qualité du scan détermine le résultat de la restauration – et il deviendra le nouveau négatif du futur ! Cela signifie que nous devons nous assurer que le scan d’aujourd’hui capture l’état actuel du négatif de manière optimale. Nous choisissons toujours des laboratoires qui utilisent les techniques de numérisation les plus avancées.

L’étalonnage est la partie essentielle de la restauration, s’il est effectué à partir du négatif original comme dans notre cas. Je travaille toujours avec mon coloriste senior préféré qui utilise les anciennes expressions du film comme référence et tient compte de chaque scène, ainsi que de l’intention de chaque plan, afin de restaurer l’aspect original de la meilleure façon possible. Il fait en sorte qu’il soit correctement traduit dans la technologie de projection et d’affichage numérique d’aujourd’hui. Le 4K vous donne la possibilité de voir l’image telle qu’elle a été capturée par la caméra analogique de l’époque. Il montre toute la beauté du film original et le génie du chef-opérateur Robby Müller, image par image. En voyant notre nouveau DCP, j’ai été époustouflé. C’était comme si un voile avait été retiré du film.

Quelle place occupe Paris, Texas dans votre filmographie ?

Avec les films, c’est comme avec les enfants, ils occupent tous une place différente dans le cœur de leurs parents. Ceux qui réussissent trouvent plus facilement leur voie et n’ont plus besoin de vous. D’autres s’accrochent à vous beaucoup plus longtemps, et vous êtes souvent plus attaché à eux qu’à ceux « qui ont réussi ». Mais Paris, Texas a laissé une grande empreinte dans ma vie artistique et personnelle. Le succès mondial du film m’a confronté à un tout nouveau problème : l’attente. Il m’a fallu trois ans pour le surmonter et ne pas faire ce que tout le monde attendait de moi, « un autre » film comme Paris, Texas. Au lieu de cela, j’ai fini par faire tout le contraire : un film en noir et blanc avec des anges gardiens à Berlin.