Rencontre avec Hirokazu Kore-Eda, membre du Jury des Longs Métrages

Il a reçu une pluie de récompenses à Cannes, parmi lesquels la Palme d’or pour Une affaire de Famille en 2018. Quand il n’obtient pas le Prix du Jury (Tel Père, tel fils, 2013), le Prix d’interprétation masculine pour son acteur, le Prix du scénario (L’Innocence, 2023) ou l’ultime distinction, Hirokazu Kore-Eda choisit de donner en retour et rejoint cette année le Jury des Longs métrages présidé par Greta Gerwig. Interview.

Quelle est votre relation avec le festival ?

Remporter des prix, voir mon travail reconnu, cela a beaucoup joué dans ma carrière. J’ai ainsi eu l’occasion de rencontrer des cinéastes du monde entier et de nouer des liens avec eux. Et c’est en grande partie grâce à l’expérience que j’ai vécue ici à Cannes que j’ai pu tourner un film en France. Il est temps pour moi d’apporter ma contribution, de choisir et de remettre les prix que j’ai reçus à la prochaine génération.

L’enfance et la famille sont au cœur de votre travail. Qu’est-ce qui vous touche dans ces sujets ?

On me pose souvent la question mais ce n’est pas aussi réfléchi que cela. Si j’essaie de dépeindre un homme ou une femme, les placer dans une famille, c’est les placer dans le plus petit monde possible. Et dans ce monde, il y a une fille, peut-être une sœur, peut-être une épouse, peut-être une mère. En les plaçant dans une famille, on montre les différentes facettes de cette personne. Je pense qu’il est très important de ne pas se contenter de montrer une facette d’une personne, mais de l’éclairer sous différents angles, de créer un personnage en trois dimensions. Utiliser une structure familiale dans les films permet de montrer naturellement les différents rôles qu’ils jouent au sein de la famille, et les différents masques qu’ils portent.

D’où vous vient cette capacité à créer la surprise dans vos scénarios?

Pour être honnête, je n’essaie pas de surprendre les gens. J’essaie de découvrir, à travers le processus d’écriture, pourquoi ce monde est comme ça. Comment la relation de ce couple s’est-elle brisée ? Je cherche les graines qui se trouvent dans les relations et qui, idéalement, mènent à des découvertes et à des surprises.

Qu’avez-vous appris de ce tournage en France pour La Vérité ?

Ce fut une très bonne expérience, l’emploi est protégé en France. On ne peut pas travailler plus de 8 heures par jour. Les week-ends sont consacrés au repos. Et l’ensemble des acteurs et de l’équipe intègrent le tournage dans leur vie quotidienne, c’est naturel. Au Japon, il n’est pas rare d’assister à des tournages dans la rue, mais les gens sont vite agacés et n’hésitent pas à lancer des « Pousse-toi de là ! » Vous êtes une nuisance. Mais en France, faire des films et voir des films se faire, c’était normal, et ça c’était nouveau pour moi. Au Japon, la situation s’améliore, mais faire un film est toujours considéré comme extraordinaire. Et quand vous filmez, vous ne voyez pas votre famille. La plupart du temps, vous ne dormez pas. C’est comme un festival qui dure un mois, c’est amusant pour certains, mais c’est aussi très difficile.

Cela vous a donné envie de continuer à tourner dans d’autre pays, comme vous l’avez fait en Corée ?

Oui, j’en ai l’intention. J’ai deux projets pour les cinq prochaines années et je veux essayer de faire un film en anglais. J’ai une idée qui impliquerait des acteurs asiatiques et japonais et je veux faire quelque chose autour de la Seconde Guerre mondiale. C’est tout ce que je peux dire pour l’instant.

Pourquoi la Seconde Guerre mondiale ?

Il y a deux raisons pour lesquelles cette période m’intéresse vraiment. La première est que lorsque les Japonais réalisent des films sur la guerre, ils présentent très souvent le Japon comme une victime. Mais si l’on regarde les choses objectivement, le Japon n’était pas une victime, et nous ne sommes pas capables de l’admettre et de gérer notre statut d’agresseur. Ce n’est pas vraiment ce que l’on voit dans les films japonais. Par ailleurs, je me suis toujours intéressé à la diaspora japonaise, celle du Brésil, d’Hawaï, de San Francisco… aux immigrants qui sont restés dans les territoires japonais de Mandchourie après la guerre. L’une des raisons pour lesquelles cela m’intéresse beaucoup, c’est que mon père, après la guerre, était en Mandchourie. Il a été envoyé en Sibérie, où il a été soumis à des travaux forcés pendant trois ans par des températures de -40 avant de revenir au Japon. À son retour, il n’a bénéficié d’aucun soutien de la part du gouvernement. Les personnes qui sont revenues ont été abandonnées par leur pays. C’est la raison pour laquelle je m’intéresse aux enfants abandonnés.