Rencontre avec Omar Sy, membre du Jury des Longs Métrages

Omar Sy est entré dans le cœur des Français par la petite lucarne au milieu des années 2000, s’offrant de temps à autre des détours par le grand écran. Film après film, ses personnages prennent de l’épaisseur, jusqu’à la consécration en 2012 avec le César du meilleur acteur pour Intouchables de Nakache et Toledano. Depuis, sa carrière s’écrit à l’international, dans les plus grandes sagas américaines (X Men, Jurassic Park) et prochainement dans The Killer du Chinois John Woo.

 

Vous avez accompagné à Cannes Tirailleurs de Mathieu Vadepied au Certain Regard en 2022, un film qui vous tenait particulièrement à cœur. À cette occasion, avez-vous trouvé une caisse de résonance particulière au Festival ?

C’est la tribune la plus large possible. Pouvoir parler de cette histoire sénégalo-française assez méconnue du reste du monde, c’était une double exposition. A l’international d’une part, et par le cinéma d’autre part. Ce récit nous tenait à cœur parce qu’il racontait l’Histoire.

 

Quelle école a représenté la télévision pour vous en tant qu’acteur ?

Ça a été l’école ultime. La télévision était un laboratoire, on y essayait pas mal de choses, on avait le droit de se tromper, de rater, de réessayer. Je continue, même en tant qu’acteur, à être dans cette forme-là de recherche. C’est là que je trouve mon plaisir.

 

À quel moment décidez-vous de basculer pleinement vers le cinéma ?

L’endroit où je me rends compte que je peux avoir une carrière d’acteur, c’est en 2012, au Théâtre du Châtelet quand je reçois le César pour Intouchables. Avant ça, mon métier, c’était la télévision, avec Fred Testot, en duo. Et quand j’avais une opportunité de faire un film, c’était une expérience en plus, il n’y avait pas de démarche derrière. À partir de là, je me suis autorisé à me projeter, à aborder les opportunités différemment. Mais la méthode n’a pas changé : je privilégie l’expérience et la recherche.

 

Un cinéma a été baptisé en votre nom à Trappes, votre ville natale. Qu’est-ce que cela représente ?

C’est important. J’avais eu des formes de reconnaissance dans le monde entier mais jamais de là d’où je viens. Sans dénigrer les autres, elle a une plus grande valeur. Au fond, c’est ce que je cherchais depuis le départ, ça m’a peut-être même soigné là où je ne pensais pas avoir mal. Ce manque de reconnaissance, à cet endroit là que j’avais occulté, me laissait penser que Trappes, c’était derrière moi, alors que là-bas, ils continuaient à suivre mon parcours, à le saluer et surtout à le reconnaître.

 

En partageant votre temps entre la France, les États-Unis et le Sénégal, quelle vision portez-vous sur le cinéma de ces différentes régions du monde ?

Le fait de vivre dans tous ces endroits-là fait que j’ai une observation du monde qui est particulière, ma vision en est modifiée, elle a évolué. J’ai l’impression d’apporter ça au cinéma, d’y apporter ce triple regard à chaque fois.

 

Vous avez créé l’an dernier votre studio de production, Carrousel Studios, quels types de création souhaitez-vous accompagner ?

On cherche des énergies, des histoires, un désir, une émotion. Le choix des projets vient du ventre, c’est instinctif. Ce qu’on cherche, c’est la liberté de faire ce qu’on veut, comme on le veut. La souplesse, c’est la clé pour réussir un projet et l’emmener au maximum de son potentiel. Si un metteur en scène a tel besoin, on ne le bloquera pas comme le ferait un studio. On souhaite offrir le cadre parfait, être les producteurs qu’on aurait aimé avoir.

 

Et la mise en scène, vous y songez ?

En fait, je suis un metteur en scène et un auteur frustré. C’est pour ça que je suis producteur.

 

Qu’est-ce que votre expérience dans le cinéma vous a appris sur vous-même ?

J’ai abordé ce métier en pensant fuir ma condition, ma propre réalité. On pense se réfugier dans des personnages qui nous éloignent de nous mais on se rend compte, avec l’expérience, que plus on fait ce trajet, plus on se rapproche de soi. Donc pour ma part, j’ai appris beaucoup de choses sur moi, sur mon impatience notamment, que j’ai travaillée, sur mon besoin de liberté aussi, que j’assume désormais.

 

Abordez-vous le cinéma comme un geste politique ?

Ça, c’est aux autres de le dire. J’ai l’impression que, dès que je touche à certains sujets ou prends la parole sur d’autres, on y plaque une dimension politique qui est liée à qui je suis, là d’où je viens et aux valeurs qu’on me prête. Je n’ai pas de problème avec ça mais ce n’est pas ma manière d’aborder les choses.

 

Quel défi attendez-vous dans votre carrière après avoir exploré tous les genres en tant qu’acteur ?

Le défi majeur, c’est de continuer. Continuer à créer, à être libre. C’est ça mon unique défi, le plus important et le plus difficile.