Việt And Nam, le regard de Minh Quý Trương

VIET AND NAM

Le Festival accompagne les nouvelles générations du cinéma du monde entier. C’est ainsi qu’en 2022, au sein de l’Atelier de la Cinéfondation, Minh Quý Trương a développé Việt And Nam, aujourd’hui sélectionné au Certain Regard. Dans ce film, le réalisateur nous plonge à mille mètres sous terre, où deux mineurs voient leur romance livrée à l’épreuve de l’exil.

 

Racontez-nous la genèse de votre film.

Fin 2019, après avoir déménagé en France, j’ai commencé à noter les premières idées de Việt and Nam. Ce premier long hiver que je traversais a sans doute initié ce désir d’écrire un film sur l’exil. La distance physique avec mon pays d’origine s’est peu à peu nourrie d’histoires réelles, de souvenirs et d’images fantasmées. L’écrire était peut-être une façon de rentrer à la maison par la pensée.

 

L’atmosphère du tournage ?

Pendant les repérages et le casting, j’essaie d’être le plus à l’écoute possible. C’est le moment où je transpose le scénario aux réalités du terrain. Nous avons tourné en 16mm, avec un minuscule écran qu’on ne pouvait pas utiliser comme retour. Alors, la plupart du temps, il fallait que l’équipe de tournage juge la qualité des scènes à l’œil, ce qui était nouveau pour la plupart d’entre eux. Le rythme de travail était calme, ponctué de nombreuses répétitions, en raison d’un casting non professionnel. Et il a fallu du temps pour faire tomber leur timidité. J’ai le sentiment que le tournage a été défini par la pré production, un peu comme une histoire d’amour qui aurait commencé avant la rencontre entre deux personnes. C’est pour cela que je trouve ce moment si libre, audacieux, mais en même temps risqué et difficile.

 

Quelques mots sur vos interprètes ?

La quasi-totalité n’avait jamais joué. Ils ont été incroyablement patients. Plusieurs acteurs ont suivi des entraînements et des répétitions pendant plusieurs mois. Lê Viết Tụng, qui joue le vétéran, est un vrai soldat qui a perdu son bras au combat. C’est un artiste de nature, ce qui a facilité son jeu devant la caméra.

 

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de votre film ?

Traverser le film doit être un sentiment poignant, comme celui du jour du départ, où il faut dire au revoir à un endroit ou à quelqu’un qu’on aime. Ce sentiment du “dernier jour”, comme un léger rayon de soleil qui se pose sur un mur poussiéreux et met en lumière une insoutenable mélancolie. J’aimerais que ce film fasse plonger le spectateur dans la complexité de l’âme humaine, là où on peut entendre les faibles vibrations de l’esprit. En y parvenant, on doit sentir puissamment qu’au cœur de ce courage de partir, il y a l’aspiration du retour. De rentrer à la maison et dire : “Maman, je suis de retour.”

 

Que vous a appris la réalisation de ce film ?

Comme le titre du film de Fassbinder Ali: Fear Eats the Soul (Tous les autres s’appellent Ali), en fabriquant ce film, j’ai appris que la peur et l’anxiété sont si denses et constantes qu’elles en deviennent des éléments naturels du processus. Néanmoins, ils compromettent insidieusement nos décisions, en écartant parfois les évidences. J’imagine que le défi consiste à se libérer l’esprit des peurs déjà présentes au quotidien et qui s’accentuent dans le contexte très particulier de la fabrication d’un film.