La Femme la plus riche du monde de Thierry Klifa : une tragédie familiale entre pouvoir, secrets et vengeance
Dans La Femme la plus riche du monde, présenté Hors Compétition, Thierry Klifa s’inspire librement de la figure réelle de Françoise Bettencourt-Meyers, héritière du géant L’Oréal, et transpose dans une fiction contemporaine les ressorts d’une tragédie classique, oscillant entre thriller psychologique et drame bourgeois.
Qu’est-ce qui vous a mené vers ce sixième long métrage, inspiré de l’affaire Bettencourt ?
J’ai commencé à m’intéresser à cette affaire dès qu’elle est devenue publique. J’ai eu très vite envie de chercher à comprendre ce qui se jouait à un niveau à la fois intime et universel, de lire, d’enquêter, pour comprendre ce qui se jouait vraiment derrière ce qui intéressait les médias. Ce que j’ai découvert c’est une matière complexe, et profondément humaine. Il y a une histoire de famille bouleversante, avec ses secrets, son passé enfoui, et un contexte historique encore trop peu exploré en France : celui de ces grandes familles industrielles, catholiques, dont une partie du pouvoir s’est aussi construite sur des zones d’ombre, la collaboration notamment, et un certain antisémitisme ordinaire. J’ai compris que je pouvais m’inspirer de cette histoire pour en écrire une autre. Non pas relayer un fait divers retentissant mais en tirer un récit romanesque et universel.
Votre cinéma explore souvent des dynamiques familiales troubles.
Ce n’est pas tant la famille qui m’intéresse que la transmission. Cette fois, j’ai poussé tous les curseurs au maximum. Je n’ai pas cherché à créer d’empathie avec mes personnages, à les rendre sympathiques ou à forcer l’attachement. Ce qui comptait, c’était d’être au plus près de leur vérité. Ce sont des figures à la fois monstrueuses et profondément infantiles. Si une émotion surgit, c’est parce qu’elle se situe dans leurs fragilités, leurs solitudes. Je voulais absolument éviter le pathos. Ce sont des personnages hauts en couleur, inscrits dans une époque, singuliers, parfois excessifs, et c’est aussi ce qui les rend fascinants.
La haute bourgeoisie est un univers très codifié, presque étouffant. Quels ont été vos préceptes visuels pour construire cet univers visuellement ?
J’ai beaucoup travaillé la direction artistique, tant au niveau de l’image que des décors et des costumes pour donner une identité cohérente au film. Ne pas tomber dans le piège de la reconstitution. C’est un milieu que je connais, pour avoir eu l’opportunité de l’observer de près dans mon enfance et mon adolescence. La fausse idée, c’est d’imaginer que chez eux l’argent se voit. On est loin de Succession, The White Lotus ou The Square même si on est chez la femme la plus riche du monde. Bien sûr, ils vivent dans de très belles maisons, ils voyagent en jet, mais il n’y a pas tant d’autres signes extérieurs de richesse que ça. L’univers de Marianne, le personnage joué par Isabelle Huppert, est très codifié mais aussi, au début de l’histoire, assez mortifère. Plus ce photographe entre dans sa vie, plus tout s’anime. Il la décoiffe au propre comme au figuré. Nous avons beaucoup joué sur les couleurs vives pour contraster avec le côté plus terne du personnage de la fille interprété par Marina Foïs. En termes de mise en scène, je pars toujours des personnages pour raconter l’histoire. Ensuite les acteurs guident cette mise en scène. Il y a aussi pas mal de gros plan qui créent une connivence avec le spectateur : puisque ces personnages évoluent dans un monde à part, presque hermétique, la caméra va chercher à les percer de l’intérieur.