Más allá del olvido : le chef-d’œuvre d’Hugo del Carril restauré
Souvent comparé à Vertigo (1958), Más allá del olvido (1955), de l’Argentin Hugo del Carril, a été écrit d’après le roman Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach. Il raconte l’histoire d’un homme amoureux qui tente de faire revivre sa bien-aimée disparue. Présenté à Cannes Classics, ce film est commenté par Fernando Madedo, qui en a coordonné la restauration.
Qui était Hugo del Carril ?
La carrière d’Hugo del Carril a été remarquablement diversifiée : il a excellé à la fois comme chanteur, acteur, réalisateur et producteur. Il a commencé sa carrière en tant que chanteur de tango, ce qui lui a permis de se lancer dans le cinéma. Il est rapidement devenu l’une des grandes stars de l’époque, dans son pays et à l’international, en particulier au Mexique. Son premier film en tant que réalisateur est Historia del 900 (1949). Vers 1952, il tourne Las aguas bajan turbias, qui illustre clairement l’un des thèmes fondamentaux de son cinéma : le drame social. Il consolide ensuite sa carrière de cinéaste avec Más allá del olvido (1956), qui incarne un autre de ses thèmes fondamentaux : l’amour romantique.
Quelle est la genèse du film ?
Más allá del olvido sort en juin 1956, mais le tournage commence en août 1955. En septembre a lieu le coup d’État contre le président Juan Domingo Perón en Argentine. Hugo del Carril est emprisonné, puis libéré, et il termine le tournage en décembre de la même année. L’accusation officielle portait sur la contrebande de films, bien qu’il soit clair que la véritable cause était son adhésion au péronisme. Sa voix, immortalisée dans son interprétation de la marche du parti justicialiste Los muchachos peronistas, a fait de lui un symbole du mouvement.
Pour autant, Del Carril n’a pas eu une vie facile sous le gouvernement péroniste : son inimitié avec le chef de l’appareil de propagande du régime, qui l’a accusé d’être communiste et a entravé sa carrière, est bien connue. Dans les années 1970, avec le retour de Perón, Del Carril est nommé à la tête de l’Institut national de cinématographie. Il participe alors à la rédaction d’une nouvelle loi sur le cinéma, qui ne sera toutefois jamais adoptée par le Parlement. Peu après, il démissionne.
Le film est considéré comme l’un des plus importants de l’histoire du cinéma argentin. Pourquoi ?
Más allá del olvido est un film pleinement apprécié pour sa maturité esthétique. Del Carril se distingue par sa mise en scène soignée, son utilisation expressive de la lumière, ses mouvements de caméra et la composition de ses cadrages. Il manifeste avec force une matrice culturelle profondément enracinée en Amérique latine : le mélodrame, dans ce cas dans sa variante gothique.
L’utilisation narrative et expressive de la lumière met en évidence les éléments thématiques et esthétiques de l’œuvre : la dualité entre la vie et la mort, la lumière et l’obscurité, le présent et le passé. Le film réfléchit également sur la représentation elle-même à travers des procédés visuels tels que les cadres de porte qui recadrent l’action, l’utilisation de miroirs et les regards caméra, qui placent le spectateur dans la perspective de Blanca (Laura Hidalgo), représentée dans un tableau, dans un jeu de mise en scène maniériste élaboré.