Coup pour coup, interview de Marin Karmitz

Photo du film Coup pour coup © DR

Dans Coup pour coup (1972), Marin Karmitz plonge sa caméra au cœur de la révolte des ouvrières d’une usine de textile du nord de la France. Proche du documentaire par sa forme, ce long métrage militant a compromis sa carrière de réalisateur. Le Festival rendra hommage au fondadeur des cinémas MK2 ce vendredi 11 mai, lors du dîner des professionnels de l’industrie cinématographique mondiale.

Comment est né Coup pour coup ?

Après Mai 68, un certain nombre de grèves de femmes soutenues par des militants de la gauche prolétarienne se sont déclenchées à travers le pays. Ces grèves avaient essentiellement lieu dans des usines de textile et j’avais couvert plusieurs d’entre elles comme photographe pour l’agence Libération. Dans le nord de la France, j’ai rencontré beaucoup de ces femmes en lutte et j’ai eu envie de leur donner la parole à travers une fiction. Elles étaient impressionnantes de détermination. À l’instar des immigrés, des fous, des prisonniers et des homosexuels, elles appartenaient jusque-là à cette frange inaudible de la population.

Dans sa forme, le film se rapproche beaucoup d’un documentaire…

Il a pourtant été totalement scénarisé. Je suis allé enquêter dans les usines pour voir comment les grèves se déroulaient. J’ai essayé de comprendre quels étaient les enjeux en échangeant avec les ouvrières. Avec cette matière, nous avons imaginé un scénario et avons proposé à une poignée d’entre elles de venir tourner dans le film. Certaines travaillaient dans des usines de textile de Lille et de Roubaix. D’autres travaillaient près de l’endroit où l’on tournait, à Louviers, au sud de Rouen. Leur expérience a été précieuse.

Comment s’est déroulé le tournage ?

L’expérience a été incroyable pour toute l’équipe. Mais les conditions de vie sur place étaient tellement difficiles que la première équipe d’opérateurs engagée sur le film est partie au bout de quelques jours. Nous avons été jusqu’à monter des tentes dans un moulin pour loger tout le monde ! Quant à ces femmes, elles ont accepté de participer au film car je leur ai offert l’opportunité de s’exprimer librement. Je leur ai promis que leur parole ne serait pas modifiée. Elles ont joué de façon très naturelle. Je n’ai pas eu besoin de les diriger, mais simplement de les filmer.

Quelle a été votre méthode de travail ?

Je filmais les répétitions à l’aide d’une petite caméra vidéo en suivant le storyboard. Puis, je montrais le résultat aux ouvrières, qui pouvaient alors rectifier les dialogues ou leur gestuelle. Puis, nous tournions en conditions réelles. Elles ont d’ailleurs très vite trouvé que les comédiens professionnels jouaient mal et faux ! Et elles avaient raison. Seul André Wilms les a convaincues.

Quels ont été vos partis pris esthétiques ?

Sur mon précédent film, Camarades, j’avais filmé les chaînes de montage vu d’en haut, à hauteur du contremaitre. Là, il fallait que je me place à la hauteur des ouvrières, et que les contremaîtres soient vus au travers de leur prisme. J’ai filmé à hauteur de leurs visages.

Qu’avez-vous souhaité montrer ?

La capacité de résistance de ces femmes. Elles se révoltaient contre leurs conditions de travail très difficiles ou le harcèlement sexuel. C’était un acte de résistance. C’était le début des luttes féministes. Cinquante ans plus tard, la question de harcèlement au travail revient sur le devant de la scène et cette fois, on se risque vraiment à l’évoquer.

Quel a été l’impact de ce film ?

Il a été énorme car nous l’avons diffusé de façon militante. Les salles de cinéma, sous la pression des patrons dans les villes de province, l’ont déprogrammé des salles. À Clermont-Ferrand, les gens sont descendus dans la rue pour protester contre cette censure. À chaque fois que le film arrivait dans une ville où se trouvaient les ouvriers d’une usine sur le point de reprendre le travail, ils se remettaient en grève ! Coup pour coup m’a valu une haine tenace de la part des patrons et des syndicats, qui sont assez mal traités dans le film, de façon très volontaire d’ailleurs. Personnellement, j’ai sacrifié mon avenir de cinéaste dans cette affaire. J’étais blacklisté et cela a été une grande douleur durant plusieurs années.

Une présentation de MK2. Restauration réalisée par Eclair à partir du négatif original en 2K avec l’aide du CNC et supervisée par le réalisateur. Distribution en France MK2, ressortie le 16 mai 2018. En présence de Marin Karmitz.