Interview de Mahamat-Saleh Haroun pour Hissein Habré, une tragédie tchadienne

Photo du film Hissein Habré, une tragédie Tchadienne © DR

Six ans après le Prix du Jury pour Un homme qui crie et trois ans après Grigris sélectionné en Compétition, Mahamet-Saleh Haroun est de retour à Cannes avec le très attendu Hissein Habré, une tragédie tchadienne. Ce documentaire sur les victimes du régime du dictateur est présenté en Séance Spéciale.

Dans ce documentaire, vous recueillez les paroles des victimes du régime dictatorial de Hissein Habré. Quelle empreinte a-t-il laissée sur le Tchad ?

Il a régné pendant huit ans, de 1982 à 1990. Il a laissé un pays exsangue. Quand il a été chassé du pouvoir, il a emporté près de 4 milliards de francs CFA du Trésor public et il a laissé derrière lui 40 000 morts selon l’enquête qui a été diligentée par les nouvelles autorités.

Il y a dans ce documentaire des moments poignants. Comme cette rencontre entre un ancien gendarme du régime et un homme qu’il a un jour tabassé. Ce sont ces paroles qui font la force du film ?

La parole même des victimes fait la force du film parce que ce sont des paroles qui ont été tues pendant longtemps. Ce sont des paroles qui n’ont pas été écoutées. Le film révèle aussi que le bourreau aussi bien que la victime sont en fait victimes d’un système politique sanguinaire et autoritaire.

Cette parole a-t-elle valeur de témoignage, de deuil ?

Elle a une double fonction. Ce n’était pas son statut à au départ mais elle a atteint cette fonction de témoignage pour l’Histoire, pour l’éternité. Elle aide aussi les gens à être entendus, à dire leur mal et nommer leur mal.

« Mettre des mots sur nos maux aide beaucoup. Sans que ce soit mon but à l’origine, le film joue le rôle de catharsis pour certaines victimes. »

Vous avez choisi de ne pas faire apparaître Hissein Habré. Est-ce que, paradoxalement, laisser planer son âme sur le film ne le rend pas plus présent ?

Hissein Habré hante le film et il n’y avait pas besoin de le montrer plus que ça. Je pense que ça donne plus de force. Il existe des images d’archives mais j’ai dès le départ fait le choix de ne pas montrer la figure d’Hissein Habré.

Pour éviter le culte de sa personne ?

Absolument. Et pour ne pas utiliser des images que je n’ai pas filmées moi-même. Je me suis référé notamment aux documentaires sur la Shoah dans lesquels on voit ces images de la puissance hitlérienne et je n’ai pas envie de voir un dictateur dans toute sa magnificence. Je voulais plutôt écouter ceux à qui il a fait mal.

La magnificence est plutôt sur le plan esthétique. On a presque l’impression de voir une fiction.

Je ne voulais pas faire un documentaire au sens premier du terme. Je voulais injecter une modernité, quelque chose qui rendrait les choses un peu impensables et incroyables, qui nous ferait penser « c’est peut-être pas vrai en fait », alors que le documentaire, c’est l’art de la réalité. Je voulais aller vers quelque chose qui traduise l’absurdité du système pour qu’on se dise que c’est inimaginable que de telles choses soient arrivées. Ce sont peut-être les méandres de la fiction qui m’ont permis d’atteindre cela.