Chant de Tziganes à Cannes Classics

Photo du film Skupljači Perja (J'ai même rencontré des Tziganes heureux) © DR

Présidente de l’Association de Sauvegarde des œuvres d’Aleksandar Petrovic, Radmila Petrovic Cvoric, la sœur du réalisateur yougoslave disparu il y a plus de vingt ans évoque Skupljači perja (J’ai même rencontré des Tziganes heureux). Un long métrage présenté en copie restaurée à Cannes Classics, cinquante ans après que le film a décroché le Grand Prix du Festival de Cannes 1967.

Votre frère s’était penché sur la vie des Tziganes. Qu’a réussi à montrer le film à l’époque ?

En 1967, J’ai même rencontré des Tziganes heureux était le premier film à montrer les Roms dans leur milieu, parlant leur langue, avec des acteurs non professionnels. Ce film est à l’origine de deux décisions importantes pour les Tziganes. La chanson Djelem Djelem, chantée par Olivera Vuco, qui est une actrice serbe, pas Rom, est devenue l’hymne international de tous les Tziganes. Ensuite, en France, après une projection à la Cinémathèque de Paris devant les représentants Rom et des personnalités du gouvernement, un débat a abouti à une circulaire de 1967 qui a reconnu la nécessité de la scolarisation des enfants nomades.

Le film a été largement primé : à Cannes, en Yougoslavie au Festival de Pula, il a été nommé aux Oscars du meilleur film étranger en 1968, aux Golden Globes… En Yougoslavie, il a été désigné meilleur film de l’histoire du cinéma du pays. Tito, le dirigeant suprême de la Yougoslavie communiste, était ravi qu’on parle en bien de son pays à travers le succès de J’ai même rencontré les Tziganes heureux.

Avez-vous des anecdotes au sujet du film ?   

Petite anecdote racontée par mon frère :

« Suite au succès du film à Cannes et à Pula, Tito a invité la délégation de travailleurs du cinéma à sa résidence d’été, l’île Brioni. Il avait l’habitude de regarder un film presque tous les soirs, surtout des westerns américains, paradoxal pour un communiste. Il avait aussi aimé mon film. Tito nous a fait visiter son domaine, il ressemblait à un riche planteur sud-américain. J’ai alors commis une grosse gaffe. Tito semblait enjoué et détendu après quelques whiskys. J’ai alors estimé que c’était le bon moment pour lui poser la question qui me travaillait depuis longtemps : « Camarade Président, pourrait-on faire quelque chose pour nos Tziganes?» Tito a répondu : « Et comment tu imagines cela, Petrovic ? ». Un pesant silence s’en est suivi. Il a fait très froid subitement alors qu’on était en été. »

Quel type de réalisateur était Aleksandar Petrovic ? Peut-on dire qu’il «était un réalisateur engagé » ?

Les guerres, la politique et le communisme ont joué un rôle fondamental dans le travail et la carrière de mon frère. Il disait : « la vérité artistique est plus importante et profonde que la vérité politique, en tout cas c’est la plus durable ». Le traumatisme de l’occupation nazie, des bombardements de Belgrade, de l’exode ont inspiré pratiquement tous ses films. Il n’était pas le seul auteur engagé dans la Yougoslavie des années 60-70, mais il avait une sensibilité particulière, un don d’observation pour dépeindre la société telle qu’elle est qui n’était pas du goût du régime de Tito. Deux de ses films (Il pleut dans mon village et Le Maître et Marguerite) ont été interdits en Yougoslavie pendant des années et il n’a pas pu y faire de films pendant 18 ans.