Les veuves d’Israël face au poids des conventions

Photo du film Matzor (Siège) © CFE – Comité du film ethnographique / Inoussa Ousseini

Tourné en noir et blanc, Matzor (Siège, 1979) narre l'histoire d'une jeune israélienne aspirant à reprendre sa vie de femme après le décès de son époux durant la Guerre des Six Jours. Gila Almagor, son actrice principale, évoque les contours engagés du film de Gilberto Tofano, qui a posé la question de l'émancipation des femmes dans un pays écrasé par les conventions sociales.

Dans quel contexte social Matzor a-t-il vu le jour ?

Le film a été réalisé deux ans après la Guerre des Six Jours, alors que le pays se trouvait toujours dans un état d’euphorie perceptible. Il est venu rappeler à tout un peuple que même si cette guerre a été glorieuse pour Israël, elle a aussi fait des victimes collatérales dont les femmes font partie. Le propos de Matzor est de dire qu’il n’y a jamais de vainqueurs à l'issue d'une guerre parce que des victimes figurent dans chaque camp.

Quel regard portait la société israélienne sur les veuves de guerre à l'époque ?

Un regard très pesant. Les veuves devaient se soustraire aux critères dictés par la société sous peine d'être mal vues. Vous deviez vivre seule, dans le chagrin, et vous occuper de vos enfants. Pour être en mesure de refaire leur vie et ne plus vivre sous les reproches, certaines ont été contraintes de quitter le pays. Aujourd’hui, les femmes sont plus libres et plus indépendantes. Ce film a constitué un témoignage important sur le sujet.

Vous êtes à l'origine de son scénario. Quand cette histoire a-t-elle germé en vous ?

Elle était en moi depuis toujours. Ma mère est devenue veuve à 23 ans après l'assassinat de mon père par un sniper, en 1939, alors que je n'étais pas née. Elle est restée seule et ça a été très difficile pour elle. Des années plus tard, alors que je vivais depuis deux ans à New York, où j'étudiais, j'ai commencé à imaginer l'histoire d'une veuve de guerre, alors que je marchais seule sur Broadway. En rentrant chez moi, je l'ai dessinée. Plus tard, mon mari et moi avons hébergé un jeune documentariste italien nommé Gilberto Tofano. Un matin, au petit-déjeuner, j'ai discuté avec lui de cette histoire, restée dans mes carnets à dessin, et lui ai proposé de diriger cette fiction. L’argent nécessaire pour produire le film a été collecté très vite. Dahn Ben Amotz, l’acteur qui joue mon amant dans le film, a accepté de collaborer à l'écriture des dialogues.

Artistiquement, le film a constitué un tournant majeur pour le cinéma israélien…

Effectivement. Gilberto avait l’œil d’un documentariste. Il a pris le parti d'entrecouper la fiction d'images documentaires. Cela n’avait jamais été réalisé en Israël. Ce choix a donné au film une narration se rapprochant du travail de Jean-Luc Godard et des réalisateurs de la Nouvelle Vague. D'autre part, poser la question du poids des conventions reposant sur les épaules des veuves en Israël, c’était courageux.

Quel moment du tournage avez-vous particulièrement apprécié ?

Ma collaboration avec le petit garçon qui jouait mon fils. Parce que son appropriation des dialogues était trop récitée, j’ai demandé à Gilberto de me laisser prendre un moment avec lui pour travailler son rôle. C'est ainsi que toutes les scènes dans lesquelles il apparaît sont improvisées. Dans l'une d'elles, qui se passe durant le petit-déjeuner, il évoque un rêve totalement inventé. Ce fut le plus beau moment du tournage pour moi.