Cannes Classics : « Santa Sangre » d’Alejandro Jodorowsky

Audrey Delbru

Dans le cadre de Cannes Classics, les festivaliers (re)découvrent cette année Santa Sangre du Chilien Alejandro Jodorowsky, film projeté en copie restaurée. Ce long-métrage avait été présenté dans la sélection Un Certain Regard en 1989. Tour à tour peintre, mime, danseur, scénariste, réalisateur, dessinateur, marionnettiste, dresseur, musicien, metteur en scène de spectacle de danse ou encore cartomancien, durablement marqué par le surréalisme, Alejandro Jodorowsky est un artiste total qui a exploité tous ses talents pour mettre en scène cette épopée flamboyante.

Au sujet de Goyo Cardenas, le tueur en série qui a inspiré Santa Sangre, Jodorowsky raconte : Il a étranglé dix-sept femmes qu’il enterrait dans son jardin… A l’époque, je travaillais pour El Heraldo de Mexico, pour qui je signais chaque dimanche une page de Faulas Panicas, une bande dessinée. Une fois par semaine, j’allais apporter ma page et en sortant, je prenais un café dans un bar à côté de l’immeuble du journal. C’est là qu’un homme m’a approché, me disant qu’il voulait me parler. Quand je lui ai demandé comment il s’appelait, il a répondu : "Je suis Goyo Cardenas." C’était un petit homme, un peu gras, typiquement mexicain, très normal d’apparence. C’était un romancier, marié, avec des enfants, mais surtout un assassin très célèbre qui avait passé dix ans en hôpital psychiatrique, dont il était sorti une fois qu’on l’avait déclaré guéri. J’ai vu dans son histoire une forme de rédemption, qui m’a donné l’idée de faire un film sur ce thème. La première version du scénario de ce qui allait devenir Santa Sangre a été écrite pour Gustavo Alatriste, le producteur mexicain de films de Buñuel comme Viridiana. Il a été effrayé de voir que je l’avais conçue comme un opéra, qui aurait été chanté, alors qu’il s’attendait à produire un film grand public sur Cardenas, qu’il voulait vendre au public mexicain émigré aux USA."

Lors de la projection du film, en présence de Nick Nolte et de son père, Adan, le fils d’Alejandro Jodorowsky, s’est exprimé en ces termes : « Je crois que la dernière fois que je suis venu ici, j’avais 10 ans, c’était pour présenter ce film dans lequel je joue. Je me rappelle du tournage et de la fois où mon père s’est rendu compte au bout de deux jours qu’il ne m’avait pas donné à manger. J’étais en train de m’évanouir, je suis allé le voir et je lui ai dit : « J’ai faim. » Il a dit : « Pardon, pardon. » Et il a tout de suite fait appel à quelqu’un pour qu’on s’occupe de moi. J’étais devenu un acteur, il ne me considérait plus comme son fils ; il m’avait complètement oublié. Je me souviens aussi de la fois où il m’a dit avant le tournage au Mexique : « Il faut que tu joues vraiment bien dans ce film, c’est une question de vie ou de mort. » Je l’ai regardé, j’étais petit et j’ai dit : « Oui, oui ». « Il faut que tu joues vraiment bien », m’a-t-il répété. « Oui, oui, je vais bien jouer », lui ai-je répondu. Et puis il m’a donné une claque. Mon père ne m’avait jamais frappé de la vie. « Pourquoi m’as-tu frappé ? », lui ai-je demandé en larmes. « C’est pour que tu te souviennes de bien jouer dans ce film », m’a-t-il rétorqué. Je suis très content qu’on restaure ce film, parce que je l’aime beaucoup. Ce film, c’est un peu mon enfance. Et bientôt on va faire un autre film, qui s’appelle King Shot avec Nick Nolte ici avec nous ce soir. Je vous salue. »