5 X Favela, entretien avec Carlos Diegues: « Au cinéma, on fait des films pour se connaître les uns les autres. »

Photo du film

Invité à faire partie du Jury de la Cinéfondation et des courts métrages, le réalisateur brésilien Carlos Diegues présente aujourd’hui en Séance Spéciale le film choral 5 x Favela, por nos mesmos en tant que producteur. Manaíra Carneiro, Wagner Novais Luciano, Vidigal Cadu Barcellos et Luciana Bezerra, tous cinéastes issus des favelas y expriment leur voix, leur histoire, leurs sentiments. 5 X QUESTIONS A CARLOS DIEGUES

Dans les années 1960, vous avez participé à la naissance du Cinema Novo. Depuis votre engagement pour la culture populaire brésilienne ne s'est jamais démenti. Comment entretient-on une telle passion au fil du temps ?
Au cinéma, on fait des films pour se connaître les uns les autres, sinon ce n’est pas la peine. Connaître la culture populaire de mon pays était une évidence. Ce n’est pas une passion qui m’est propre mais qui appartient à ma génération. 5 x Favela a été une manière de connaitre cette évolution,  cette génération qui existe aujourd’hui dans la culture et le cinéma brésilien. De temps en temps, nous avons des crises qui laissent à penser que le cinéma brésilien peut disparaître et soudain tout reprend. Là, nous vivons une période pleine de diversité. Au début des années 90,  j’ai commencé à donner des cours dans les favelas avec des ONG et soudain j’ai vu émerger et suivi une nouvelle génération de cinéastes qui filmaient avec des portables et des caméras mini DV. Devant leur talent, je me suis dit qu’il était temps de faire un long métrage sérieux avec eux.

Au cours des ateliers qui ont précédé le tournage, Nelson Pereira dos Santos, Ruy Guerra, Fernando Meirelles  et Walter Salles sont venus donner des leçons de cinéma aux jeunes talents que vous aviez pressentis. Comment les avez vous convaincu ?
C’était très facile. Ils sont venus avec beaucoup de passion. On a organisé des ateliers techniques pour préparer les jeunes gens à faire le film, toutes sortes d’ateliers, distribution, script, montage, photographie… Ils sont tous venus:  Ruy Guerra, Fernando Meirelles, Walter Salles… Tous ceux que nous avons invités sont venus. Il était plus difficile de trouver l’argent pour faire le film que de solliciter la générosité de ces gens là…

Est-ce la recherche de fonds qui a été le plus difficile au cours du projet ?
Oui, c’était trouver le moyen de le faire. Je ne voulais pas produire un film alternatif car pour cela ils n’ont pas besoin de moi. L’idée était de leur donner les même moyens que j’ai pour mes propres films donc c’était un budget moyen d’une production moyenne. Le problème c’est que personne ne voulait y croire parce que c’était un film fait par des cinéastes des favelas. C’était très difficile, on a mis presque quatre ans pour trouver l’argent. 

Vous dites que votre film doit aussi servir à donner une autre image des favelas que celle véhiculée par les médias. Mais quand on lit les synopsis, ça parle de drogue, de gangs, d’enlèvement…
Oui, mais pas seulement. C’est un film sur le quotidien des favelas et c’est une quête d’identité du type « voilà ce que nous sommes  et ce que nous voulons être » hors de stéréotypes. C’est impossible de faire un film dans des favelas sans parler de drogue, de violence, mais ce n’est pas  la caractéristique principale du film. Quand on regarde le film, il y a une espèce de désir, de passion de montrer aux spectateurs ce qu’ils sont, ne pas mentir, ne pas rester dans les stéréotypes des favelas. Et c’est incroyable de voir à quel point dans chaque court métrage, il y a de la lumière, un horizon, un espoir et surtout un questionnement presque dialectique entre légalité et moralité. Quand on vit dans une situation limite, quand la légalité est dépassée ça ne veut pas dire que la moralité l’est aussi… Tout cela ne pouvait être exprimé que par des gens des favelas. Bien sûr, il existe déjà des films sur les favelas mais pour la première de l’histoire du cinéma brésilien, ils sont leur propre porte-parole.

Plus qu’un film, 5x Favela a été un vrai projet social. Est-ce que c’est une nouvelle voie pour le cinéma ?
Oui, mais je dirais plutôt que c’est avant tout un projet artistique, culturel et cinématographique qui a des conséquences sociales. Parce que c’était aussi une façon de trouver une place sur le marché du travail pour toute cette équipe. La plus grande partie de ceux qui ont fait le film en a d’ailleurs retrouvé aujourd’hui. Mais le projet social est une conséquence. Dans les ateliers, je le disais toujours comme un mantra : ne cherchez pas de compliments parce que vous êtes pauvres mais pour la qualité de votre travail. Je ne veux pas que les gens aiment le film parce les réalisateurs sont pauvres mais parce que c’est un beau film et un film sincère.

5 x Favela est projeté à 17h dans la salle du 60e en présence de l’équipe du film.