Chéreau, ou l’intensité du regard.
Patrice Chéreau, 2003 © AFP |
Patrice Chéreau, homme immense, artiste exigeant, créateur audacieux, vivant insatiable, est mort lundi 7 octobre. Les voix du théâtre, de l’opéra et du cinéma se sont élevées à l’unisson pour exprimer leur émotion et leur admiration pour ce maître à l’étoffe éternelle qui considérait le cinéma comme « lieu du réel et de la vie ».
« Patrice Chéreau qui vient de disparaître prématurément n’était pas seulement le metteur en scène d’opéra, de théâtre et de cinéma mondialement connu qui a marqué son époque. C’était aussi un guerrier. Je l’ai connu quand il a présenté des films en compétition à Cannes et quand il a présidé le jury, en 2003. Son élan, sa passion, sa force de conviction emportaient tout sur leur passage. Avec ses acteurs, ses techniciens qui tous l’adoraient, il témoignait d’une exigence profonde qu’il appliquait d’abord à lui-même et en même temps d’une politesse extrême. Faire des concessions n’était pas son fort et il tenait à avoir le dernier mot car il savait qu’il avait raison, mais il savait aussi donner du temps aux interprètes et à ceux qu’il estimait. Il pouvait être puéril dans ses exigences comme un enfant qui trépigne mais c’était un enfant « expérimenté » (Boulez) et expérimental. Il cherchait et il trouvait. Ses Wagner, Marivaux, Phèdre sont quelques-uns des jalons de l’art scénique contemporain. En cinéma aussi, il a longtemps cherché même s’il avait plus de mal à imposer ses choix dans un art où le temps donc l’argent est une entrave. Son univers était sombre : le lyrisme et le sordide (L’homme blessé), l’hécatombe de la Saint Barthélémy (La Reine Margot), un enlèvement (La Chair de l’orchidée), un enterrement (Ceux qui m’aiment prendront le train), les querelles, la difficulté d’aimer (Gabrielle)… Mais la crudité d’un amour charnel (Intimité – peut-être son plus beau film avec Ceux qui m’aiment…) attestait de l’incandescence d’un regard de démiurge : Chéreau, ou l’intensité du regard. C’était : tout, sauf du théâtre filmé. Par son instinct de la mise en scène, par sa caméra considérée comme un personnage, par sa manière de dévisager les êtres et ce qui les entoure, Chéreau n’en avait jamais fini de réinventer le monde. »
Gilles Jacob