Eugene Jarecki, Elvis et les contrastes du rêve américain

Photo du film Promised Land © DR

À bord de la célèbre Rolls Royce d’Elvis, le documentariste américain Eugene Jarecki a bouclé en 2016 un road-trip musical à la rencontre de l’Amérique du King, avec pour ambition de dresser, à travers elle, un portrait moderne et contrasté du rêve américain. Promised Land est présenté en Séance Spéciale.

Comment vous est venue l’idée d’évoquer le rêve américain au travers d’Elvis Presley ?

En 2014, alors que j’étais sur les routes pour présenter The House I Live In, j’ai pris conscience que l’histoire d’Elvis était profondément liée à celle du rêve américain, et pas uniquement dans son ascension. Plus encore, j’ai remarqué que dans toute sa richesse, la vie du King constituait une métaphore parfaite de l’ascension et de la chute du pays. Plus je réfléchissais à ces parallèles, plus ils devenaient évidents et révélateurs.

À quel point la carrière d’Elvis épouse-t-elle le rêve américain ?

Elvis est mort jeune, et pourtant il a tant bien que mal incarné une part importante de l’identité de l’Amérique. De son ascension fulgurante à sa mort tragique et boursouflée, en passant par son bref rayonnement sur le toit du monde, la vie d’Elvis épouse en tous points l’histoire des États-Unis. Chacun pourra voir en son parcours une sorte prémonition pour l’Amérique d’aujourd’hui.

Quelle est la perception de ce mythe chez les Américains ?

Le rêve américain a toujours été constitué d’une part de réalité et d’une part de fiction. L’Amérique est un pays qui a élu Barack Obama et qui a été capable, lors de l’élection suivante, de le remplacer par ce que le peuple américain pouvait élire de plus proche d’un monarque. Voyager à travers les États-Unis dans la Rolls Royce d’Elvis était un acte à la fois symbolique et ancré dans la réalité, comme le rêve américain. Cette voiture, par sa nature, évoque les deux facettes de l’Amérique : un idéal où tout un chacun peut sortir du lot à force de talent et de travail, et une réalité, plus triste: celle d’un pays au sein duquel 1% de la population détient plus de richesses que les 90% restant.

De quelle manière avez-vous abordé la réalisation de ce documentaire ?

À l’origine, le film devait avoir une structure plus classique. Mais à partir du moment où nous avons opté pour ce road trip d’un an au volant de la Rolls Royce d’Elvis, la difficulté a été d’adapter la voiture et notre camera pour un tournage se déployant sur des milliers de kilomètres de routes et d’autoroutes. Nous avons suivi le fantôme d’Elvis à travers 21 états américains et même en Allemagne. Mais notre plus gros défi s’est joué dans la salle de montage, où la quantité de rushes rassemblés durant le voyage – des milliers d’heures de prises en multi-caméras – a dû être tissée pour former un canevas évoquant le passé, le présent, la politique et la culture.

Visuellement, quelles étaient vos intentions ?

J’ai voulu rappeler au spectateur tout ce qui a fait de l’Amérique une terre promise : sa beauté physique, la majesté de sa population et d’un autre côté, ses défis face à l’esclavage, l’oppression, et l’exploitation des ressources qui hantent ses villes et ses campagnes. En termes de montage, cette ambition a fait apparaître un autre défi : trouver un équilibre entre les dimensions picturales et intellectuelles du film.