L’Une chante, l’autre pas : la lettre féministe d’Agnès Varda

Photo du film L’une chante, l’autre pas © DR

En 1976, Agnès Varda réalisait un film profondément féministe qui chronique la trajectoire de deux amies à travers les luttes des femmes pour la légalisation de la contraception et de l’avortement. La cinéaste, qui a présidé le Jury de la Caméra d’or en 2013 et reçu une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2015, a adressé à notre journaliste un texte pour évoquer le contexte du long métrage. L’Une chante, l’autre pas sera présenté par Agnès Varda dans le cadre du Cinéma de la Plage.

Cher Benoit,

Si je répondais à toutes vos questions, il y aurait de quoi faire un livre. Je vous propose donc quelques réponses en piquant des éléments de vos questions.

Après plusieurs scénarios (refusés) sur la question des femmes, de la contraception et de l’avortement, j’ai écrit L’Une chante, l’autre pas. C’est « à la maison », à Ciné-Tamaris, que le film a été produit.

Le projet était de rendre compte des actions particulières ou collectives menées par des femmes au cours de la décennie 1965-75 concernant la contraception, qui était interdite, et l’avortement, puni également. Je voulais témoigner de ces combats, des manifestations et des autres actions qui se sont souvent tenus dans la bonne humeur et dans une énergie communicative, y compris avec des hommes.

En choisissant deux femmes de tempéraments différents, Suzanne (qui a déjà deux enfants et ne peut pas accepter d’en attendre un troisième) et Pomme (de nature révoltée et qui milite en chantant), j’ai voulu évoquer les différentes approches de cette lutte dans une fiction.

Des documentaires partiels ont existé sur tout ce qui se passait à ce moment-là mais une fiction me permettait d’affiner davantage les situations, les événements et les différentes réactions des deux personnages. Valérie Mairesse interprète Pomme, une jeune femme militante, avec son énergie, sa bonne humeur et son goût de l’aventure. De son côté, Thérèse Liotard joue de façon plus classique le personnage d’une femme qui se reconstruit et veut ensuite aider les autres.

Les messages féministes étaient proposés au travers de chansons dont j’avais écrit les paroles. C’est le trio Orchidée qui a composé la musique et interprété les chansons avec François Wertheimer, chanteur de l’époque, qui interprète le rôle du musicien baladin. Il a aussi composé la musique classique du film.

Certaines scènes faisaient référence au procès de Bobigny, qui a été déterminant puisque l’avocate Gisèle Halimi a fait libérer une jeune fille qui avait avorté. La pression générale des femmes autour du tribunal (j’y étais) et le manifeste des 343 femmes qui disaient avoir avortées et qui étaient donc passibles de peine (j’en faisais partie) était forte. Ce manifeste était brandi dans les procès et évidemment dans celui de Bobigny. C’était sympathique que Gisèle Halimi accepte de figurer pendant une demi-heure dans cette fiction proche de la réalité.

À sa sortie, le film a été très bien accueilli en France et particulièrement soutenu par les femmes. Il a suscité beaucoup de presse, beaucoup de débats et des réactions d’hommes, surpris de la vitalité et de la cohérence de ce combat collectif.

Pour la ressortie du film, Ciné-Tamaris a réimprimé en fac-similé le dossier de presse de 1977, qui était extrêmement amusant et sérieux. Nous avons ajouté quelques pages en couleur et repris l’affiche originale, rêveuse, créée par Michel Landi.

J’ai de très bons souvenirs du travail de préparation de ce film, du tournage et de toutes les créations joyeuses et colorées de la décoratrice Franckie Diago. Je voudrais signaler l’apparition de mes enfants dans le film : Mathieu Demy, 4 ans, se balade avec Wertheimer et Rosalie Varda Demy, 18 ans, est la dernière image du film, le futur des femmes.

Le film a été présenté au Festival de Taormina et a remporté le grand prix. Valérie Mairesse et Thérèse Liotard étaient avec moi, très joyeuses, face à une énorme foule dans le théâtre antique.

En ce printemps 2018, sa présentation à Cannes sur le grand écran du Cinéma de la Plage me fait extrêmement plaisir et je regrette qu'elles et les autres protagonistes du film ne puissent pas tous être avec moi. Je penserai à elles et à eux tous.

Agnès Varda