Safi Faye conte Fad,jal

Photo du film Fad,Jal (Grand-père, raconte-nous) © DR

 

Présenté à Cannes Classics près de 40 ans après sa sélection au Certain Regard en 1979, Fad,Jal (Grand-père, raconte-nous) est un superbe témoignage du monde paysan par l’ethnologue sénégalaise Safi Faye. La cinéaste a posé sa caméra dans le village de ses ancêtres, soucieuse de transmettre la beauté de la tradition orale. Propos rapportés de la première femme cinéaste d’Afrique noire, à l’occasion de la restauration de son docudrame par le CNC.

Fad,Jal, genèse et thématiques

Je pense que mon film a été choisi par le CNC car il s’agit du premier long métrage africain à avoir été sélectionné au Festival de Cannes en 1979. Le film s’appelle Fad,Jal. Fad signifie « Arrive » et Jal veut dire « Travaille ». « Travaille » car quand on arrive dans ce village de cultivateurs, Fadial, on doit travailler. Quand on travaille on est heureux, et si on ne travaille pas, on se moque de vous.

Aussi, je fais une opposition entre mes deux cultures, française et sénégalaise (dans les années 1960, le Sénégal était une colonie française). Par opposition à l’histoire de France écrite et apprise à l’école, comment transmet-on l’histoire africaine qui n’existe que dans la tradition orale ? Qui va la transmettre aux enfants ? Le vieux, celui qui a la mémoire de l’histoire. Tous les soirs, les enfants grimpent sur les beaux arbres fromagers en sortant de l’école et ils retrouvent le vieux. Il leur transmet leur histoire, celle qui n’a pas été écrite.

Fad,Jal parle de cela, de la fondation du village et de tous les événements qui s’y sont déroulés depuis. Le grand-père parle des rites de passage traditionnels et des rites agraires, ainsi que de l’origine de ce village fondé par une femme (Mbang Fadial), aux environs du XVIe siècle.

Safi Faye, femme réalisatrice

Je ne fais jamais de films adaptés, j’écris moi-même mes scenarii, j’enquête puis j’écris, et j’essaie de rester fidèle au monde rural d’où je viens, à l’Afrique et aux villageois. J’admire les gens qui vivent de la terre. En pays Sérère, le peuple côtier dont je fais partie (qui est aussi celui de Léopold Sédar Senghor), est reconnu pour son courage au travail. C’est un peuple matriarcal où la femme a plus d’importance que l’homme. Les hommes et les femmes y sont libres, grâce au produit de leur travail.

Le monde rural, ce thème que j’ai choisi et qui correspond à ma vision du cinéma, est intemporel. Il touche autant le paysan japonais que le sénégalais ou le singapourien car nous avons tous été paysans, tout le monde vient de la campagne. Je glorifie le dur travail des paysans pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire. C’est certainement pour cela que l’on continue à parler de mes films aujourd’hui et que je suis sélectionnée à Cannes Classics parmi tous ces grands noms du cinéma. Les 13 films que j’ai réalisés touchent ce sujet, le monde de la paysannerie. Cette restauration de Fad,Jal est un miracle à mes yeux.