Interview avec Mark Cousins, voyageur dans l’histoire du 7e art

Photo du film The story of film: a new generation © Mark Cousins

 

Mark Cousins s’est fait connaître pour son œuvre monumentale A Story of Film: an Odyssey, bible cinéphile de 15 heures de voyage dans l’histoire du 7e art. Dix ans plus tard, il pose un jalon supplémentaire à cette quête rigoureuse et passionnée avec The Story of Film: New Generation. Ce documentaire présenté en Séance spéciale a été élaboré pendant la pandémie, moment pour le réalisateur de s’interroger sur l’état du cinéma de la décennie passée, juste avant que tout s’arrête. Rencontre.

Est-ce qu’il a été plus difficile pour les cinéastes d’exprimer leur art ces dix dernières années ?

La décennie passée a été la plus créative de toutes. La technologie s’est miniaturisée là où souvent la caméra, les lumières, le montage étaient si intimidants qu’il était difficile de faire du cinéma. Aujourd’hui, c’est plus facile que jamais. De plus en plus de personnes, aux parcours différents et d’origines diverses, se sont mises au cinéma.

Quels pays par exemple ont vu leur activité cinématographique se développer ?

Les Philippines font du très bon cinéma. L’Ethiopie également, l’Argentine… Plusieurs régions du monde ont profité du fait que Hollywood et Bollywood sont désormais moins dominants. Ils le sont toujours d’un point de vue marketing mais ils ne concentrent pas tous les moyens de production et c’est une bonne chose.

« Le cinéma fait partie de notre monde tout comme un coucher de soleil fait partie de notre monde. »

Cette décennie a commencé à la fin d’une crise économique mondiale et s’est achevée avant une autre crise, sanitaire celle-là. Quel impact ces événements ont-ils eu sur le cinéma ?

Le cinéma a toujours montré les craintes d’une population, d’une nation. Lors de la crise économique, le cinéma a eu peur tout comme nous avons tous eu peur. Le cinéma capture tout cela. Concernant le Covid, quelque chose d’autre s’est passé. Les gens ont vu plus de films pendant le confinement, en streaming, d’autres se sont tournés vers les grands classiques. Le cinéma a représenté une sorte de réconfort. Le cinéma réagit toujours à n’importe quelle crise, pas toujours avec brio, mais il réagira sans doute à toutes les crises.

Ces dernières années, il a beaucoup été question de racisme et de sexisme dans l’industrie cinématographique…

Dans A Story of Film: an Odyssey, que j’ai réalisé il y a dix ans, l’une des premières choses que j’affirmais était : « le cinéma est raciste par omission ». Dans un autre film plus récent, Women Make Film, je disais : « le cinéma est sexiste par omission ». Le cinéma a toujours commis ces crimes et continuera, à moins qu’on s’efforce d’exposer ces crimes de racisme, de sexisme ou autres. Ces dernières années, les choses se sont pas mal arrangées. Je pense à des films comme Tangerine ou XXY. La façon dont le genre, dont la vie sont dépeints au cinéma s’est améliorée car des personnalités concernées par ces problématiques-là réalisent des films. 

Si vous deviez retenir cinq films qui ont marqué les dix dernières années, quels seraient-ils ?

Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul (Un Certain Regard, 2015), Border d’Ali Abassi (Prix Un Certain Regard, 2018). Il y a aussi ce documentaire, Leviathan (2012), avec des GoPros au-dessus des poissons. Un film très important de ces dix dernières années, c’est Lazzaro Felice d’Alice Rohrwacher (Prix du Scénario, 2018). C’est un peu comme Théorème de Pasolini, ça parle de la grâce qui pénètre dans la vie. Et Atlantique de Mati Diop (Grand Prix, 2019). C’était génial. J’ai beaucoup d’admiration pour cette cinéaste. Je pense que le cinéma sénégalais est très important dans l’histoire du cinéma.

Vous allez poursuivre votre voyage dans l’histoire du cinéma ?

Le cinéma, ce n’est pas mon travail, c’est ma vie. Je réalise des films sur tous les sujets, dont le cinéma, parce que le cinéma fait partie de notre monde tout comme un coucher de soleil fait partie de notre monde. Alors bien sûr, puisque je fais des films qui parlent de la vie, je continuerai à faire des films sur le cinéma.