La Drôlesse, ou la rencontre entre deux âmes esseulées

Photo du film La drôlesse © Malavida Gaumont

 

François est un jeune homme de 20 ans un peu lunaire. Un beau jour, il kidnappe Madeleine, 11 ans, et la séquestre dans son grenier. Très vite, se nouent entre la fillette et son geôlier des liens de complicité en forme de rempart contre l’âpreté du monde. Jacques Doillon, le réalisateur de La Drôlesse (1978), revient sur les coulisses du tournage de ce film présenté à Cannes Classics.

À quel moment de votre parcours arrive le film ?

Après Un Sac de billes, qui était un long métrage de commande. À l’époque, je me croyais condamné au montage après deux premiers films bricolés. Je l’avais accepté parce que je bénéficiais d’une grande liberté d’adaptation. Ensuite, j’ai eu envie de revenir à quelque chose de plus personnel. C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de La Drôlesse.

Quel souvenir gardez-vous du tournage ?

Le film a été un vrai bonheur à tourner. Sur le plateau, je lançais à l’équipe en plaisantant : « Vous allez voir, on va aller à Cannes ! ». Cela nous faisait rire, mais ça s’est avéré vrai ! On a été sélectionnés la même année que Le Tambour et Apocalypse Now. Alors que La Drôlesse, c’était l’équivalent de 4000 euros de budget !

C’est un fait-divers qui vous a inspiré cette histoire…

Oui, et d'un classicisme inouï ! En m'intéressant à lui de plus près, j’ai pensé que ce qui s’écrivait dans les journaux sur la violence du kidnapping était faux. Le fait-divers avait duré cinq mois sans que ce garçon n’ait violenté la jeune fille. Pour moi, il n’était pas possible qu’elle ne soit pas restée volontairement. J’avais réussi à m’entretenir avec le jeune ravisseur dans sa prison de l’Île de Ré. Il avait conforté mes doutes en m’expliquant qu’elle avait eu de nombreuses opportunités de s’enfuir.

À vos yeux, c’était davantage la rencontre entre deux êtres solitaires ?

Oui, entre deux solitudes. Cela m’a amusé de me demander comment cela avait pu se passer réellement. C’est sur cette idée que j’ai commencé à écrire. Je savais que je divaguais beaucoup plus prêt de la réalité que la presse.

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’enfance ?

C’est un monde incroyable d’invention et de liberté. Filmer un enfant, c’est un peu comme filmer un oiseau : on ne sait jamais quelle sera sa trajectoire. Il y a, dans l’interprétation, une fantaisie qui peut déboucher sur des grâces imprévisibles. Le plaisir d’un tournage, c’est d'essayer de savoir ce que cache chaque scène. Et avec les enfants, ce plaisir est décuplé.

Vos deux acteurs sont sidérants…

D’aucuns ont pensé que Claude Hébert était le simplet du coin et qu’il ne jouait pas. C’était au contraire un acteur extrêmement fin et intelligent. Nous avons beaucoup travaillé son personnage. La petite difficulté du tournage, c’est que Madeleine était un peu plus lente que lui. Elle avait besoin de plusieurs prises pour être efficace.

Où l’avez-vous dénichée ?

Nous avons auditionné 2000 enfants dans les écoles de trois départements. En général, je réalise toujours un second volet d’écriture pour que l’enfant choisi n’ait pas à dire des choses qui lui sont difficiles. Curieusement, avec Madeleine, je n’ai pas le souvenir d’avoir fait des corrections pour me rapprocher d’elle.

Vous scrutez délicatement leurs visages…

Je me suis attaché à ne pas les fuir. D’autre part, nous tournions dans une grange et en Super 16, ce qui rendait les plans larges difficiles. Cadrer près des visages nous a également permis de rapprocher les perches et de capter idéalement les dialogues, qui sont tous chuchotés.

Une présentation de Malavida. Le scan et la restauration 2K ont été effectués à partir du négatif image, par le laboratoire Éclair Cinéma. Le son a été restauré à partir du négatif par L.E. Diapason. Restauration réalisée par Gaumont avec le soutien du CNC. En avant-première de la rétrospective « Jacques Doillon, jeune cinéaste » à partir du 3 novembre 2021.