Ces Messieurs de la santé, quand Raimu joue l’escroc

Un escroc de la finance joué par Raimu, s’échappe de la prison de la Santé où il était incarcéré suite à des malversations. Il se réfugie dans la boutique tenue par Madame Génissier (Pauline Carton), vendeuse de lingerie féminine. Jean Ollé-Laprune, historien du cinéma français, revient sur Ces Messieurs de la Santé (1934) de Pierre Colombier, présenté en version restaurée à Cannes Classics.

Comment le film s’inscrit-il dans son époque ?

Ces Messieurs de la Santé est représentatif de toute une veine du cinéma français de l’époque, qui consiste à transposer les grands succès de la Scène de théâtre directement au cinéma. Le théâtre permet alors de procurer beaucoup de sujets pour le cinéma, qui est parlant depuis relativement peu de temps.

Les acteurs étaient-ils reconnus ?

Encore auréolé du prestige de Marius en 1931, Raimu reprend un rôle qu’il avait interprété au théâtre auparavant. Il est vraiment la vedette de cette époque. Edwige Feuillère, quant à elle, en était au début de sa carrière, et deviendra célèbre l’année suivante avec Lucrèce Borgia d’Abel Gance.  Pauline Carton, célèbre second rôle du cinéma français, débute aussi. De la même façon, Lucien Baroux tient un second rôle. Il fait quelques scènes et on le reconnait immédiatement.

À quoi tient le charme de ce film ?

Il était d’actualité à l’époque, et il le reste encore aujourd’hui. Parmi tous les films de cette période, c’est celui qui a le moins mal vieilli. Le film est sorti au mois de mars 1934 et au mois de janvier 1934, c’était le suicide / assassinat de Stavisky. L’affaire Stavisky, toute l’ambiance sur l’affairisme et les escrocs est très présente dans l’esprit des spectateurs. Or, Ces Messieurs de la Santé raconte l’histoire d’un banquier en cavale, un escroc qui trouve refuge dans une toute petite boutique de lingerie, et va se faire embaucher comme veilleur de nuit. Petit à petit, il va transformer la boite en une espèce de grand conglomérat. À la fin, il trafique des caisses de mitraillettes. On retrouve le thème de la déification de l’homme d’affaire plus ou moins douteux.

Qui était Pierre Colombier ?

C’était un ancien caricaturiste, il avait commencé en tant que dessinateur et il avait un sens très pointu du détail, de l’observation. Il fait partie des noms un peu oubliés du cinéma français, et c’est dommage, car il a beaucoup de comédies à son actif, dont cinq avec Raimu comme Le Roi du Sport en 1937. Il fait à peu près 25 films jusqu’en 1939, dont Ignace avec Fernandel en 1937, et après sa carrière s’arrête. Il fait aussi partie des piliers de la société Pathé, la plus grande société de production française de l’époque. Il est l’un des plus grands artisans de cette veine comique de l’époque, un metteur en scène très soigneux. Il y a beaucoup de plans séquence dans Ces Messieurs de la Santé, une utilisation des décors due à son frère Jacques Colombier, qui sont tout à fait astucieux. Au début, les décors sont très très réduits, très confinés et petit à petit, au fur et à mesure que le film avance, la société prend de l’ampleur et ils deviennent de plus en plus grandiose.