Rencontre avec Alice Winocour, membre du Jury Un Certain Regard

Alice Winocour, membre du Jury Un Certain Regard © Amandine Goetz / FDC

Issue de la promotion 2002 de la Fémis, Alice Winocour se forme d’abord comme scénariste avant de passer à la réalisation avec des courts-métrages. Kitchen, un film de 14 minutes, permet à la cinéaste parisienne de participer à son premier Festival de Cannes en 2005. Dix ans plus tard, elle y présente un long-métrage dramatique, Maryland, en sélection Un Certain Regard. Ses films, pensés comme des face-à-face, offrent des portraits de femmes fortes et interrogent les liens entre les individus. Elle rejoint cette année le Jury Un Certain Regard, sous la présidence de John C. Reilly. Entretien.

 

Vous êtes membre du Jury Un Certain Regard, qu’y a-t-il de particulier dans les films de cette sélection ?

C‘est une sélection à laquelle je suis vraiment attachée. J’y ai déjà présenté un film, Maryland, il y a quelques années. J’ai l’impression que cette sélection nous donne des images, des grilles de lecture d’un état du monde à la fois politique, social, cinématographique. Je trouve ça très inspirant. C’est une sélection qui est très riche, je suis heureuse d’avoir intégré ce jury.

En 2005, vous présentez Kitchen, votre premier court-métrage, en Compétition. Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’avais l’impression d’avoir des papillons dans le ventre. Monter sur scène me terrorise, pas pour répondre à des questions, bizarrement, mais pour présenter un film c’est une véritable frayeur physique. Je me rappelle que pour la présentation de Kitchen, j’avais dû m’agripper au bras de Thierry Frémaux parce que je pensais vraiment que j’allais faire un malaise.

Vos films abordent des sujets très différents, où trouvez-vous cette inspiration ?

Mes films viennent toujours de quelque chose de très personnel. Plus ils sont intimes, plus j’ai besoin qu’ils se passent dans un monde qui n’est pas forcément le mien, comme à une époque différente avec Augustine (2011). Ce sont des processus inconscients, il est difficile de résumer comment une idée me vient. En regardant en arrière, je me rends compte que j’écris et que je réalise beaucoup d’histoires de libération, de révolte. J’aime les personnages féminins forts, l’idée d’avoir la même actrice dans presque chaque plan d’un film m’intéresse.

Quelles relations entretenez-vous avez vos comédiens ?

Il y a beaucoup de comédiens avec qui j’aimerais retravailler. Pour moi, ils sont comme une sorte de famille. Ce sont des gens qui ont donné vie à des personnages que j’ai inventé, à une partie de moi-même, forcément nos liens sont très forts.

Vous êtes issue de la Fémis, auriez un conseil pour un aspirant cinéaste ?

Le conseil serait de ne pas écouter les conseils. Il faut suivre ses intuitions, inventer ses propres règles et se construire un regard singulier.

On pourrait presque dire un certain regard…

C‘est vrai ! C’est aussi ce qui est émouvant dans cette sélection. Il y a beaucoup de premiers films et on peut sentir des voix qui s’élèvent de pays dont on entend assez peu parler au cinéma. C’est aussi ce qui est exaltant : on entend de nouvelles voix singulières, les règles du jeu sont bouleversées. Dans la sélection de cette année, il y a beaucoup de pays d’Afrique : le Congo, le Soudan, des pays du Maghreb… À travers des récits de peuples opprimés, qui ont été occultés de l’histoire, il y a comme l’idée de se réapproprier une place à travers le cinéma.

Comment passe-t-on de l’écriture d’un scénario à la réalisation d’un film ?

Je suis issue de la section scénario de la Fémis donc pour moi, l’écriture et le récit sont importants. Quand on passe à la réalisation, j’ai l’impression qu’il faut oublier tout ça et aller contre le scénario. J’aime beaucoup la direction artistique : essayer de trouver le langage propre du film, son style, son look… Tout ce travail se fait collectivement et c’est assez exaltant. Je suis d’abord seule dans l’écriture, puis j’arrive à faire entrer plein d’autres personnes dans mon monde parallèle.

Quel est le secret d’un bon scénario ?

Il n’y en a pas. On fait des prototypes, comme les grands couturiers. Il n’y a pas de modèle et c’est ce qui est beau dans le cinéma, ce qu’on doit préserver. C’est également pour ça que Cannes est un endroit si particulier, on y défend vraiment le cinéma.