Rencontre avec Davy Chou, membre du Jury Un Certain Regard

Davy Chou - Retour à Séoul © Pascal Le Segretain / Getty

Il y a quelque chose de vibrant dans le cinéma de Davy Chou. Le réalisateur franco-cambodgien qui a marqué le Certain Regard l’an dernier avec Retour à Séoul ou la quête identitaire de Freddie, revient cette année au sein du Jury Un Certain Regard présidé par John C. Reilly.

Qu’est-ce qui a changé dans votre métier depuis la sélection de Retour à Séoul au Certain Regard ?
J’avais déjà montré des films à la Quinzaine et à la Semaine, mais la Sélection officielle m’a donné une lumière particulière, notamment à l’international. Avant d’arriver au Festival, Retour à Séoul avait été pré acheté par Sony Pictures Classics et Mubi. Donc tous les projecteurs étaient déjà sur le film et la presse voulait savoir ce qu’il valait. La combinaison d’Un Certain Regard, de cette double acquisition et des critiques favorables a changé pas mal de choses depuis un an. Le film est sorti dans plusieurs pays à l’étranger et ça, c’est un gros changement. Revenir un an plus tard dans une position de Jury, je ne m’y attendais pas du tout et c’est une position ultra privilégiée.

Et maintenant que vous y êtes ?
C’est une invitation qui m’honore. Le seul truc étrange, en vérité, c’est que je reste un cinéaste qui n’a pas fait beaucoup de films et je vais « juger » des cinéastes qui ont la même expérience que moi, voire plus. Il y a des cinéastes qui montrent leur troisième film ou qui sont plus âgés. Et en même temps, c’est une possibilité qui m’est offerte de défendre le cinéma auquel je crois et certaines visions.

 

 

Que représente la salle de cinéma pour vous ?
J’habite en grande partie au Cambodge où il n’y a pas eu de salles de cinéma entre les années 1990 et 2011 environ. Je fréquente des jeunes gens qui n’ont pas du tout eu cette habitude quand ils étaient jeunes, contrairement à moi qui, car je suis né et j’ai grandi en France. On se pose la question : « Est-ce qu’on va perdre cette expérience de la salle ? » Et quand je vois que je suis entouré par des gens qui n’ont pas eu ça dans leur jeunesse et à quel point cette expérience est unique et rare, ce serait extrêmement triste de la perdre.

Quels cinéastes vous inspirent ?
Ma cinéphilie a évolué avec l’âge. J’ai grandi avec le Nouvel Hollywood. Puis je me suis intéressé à la Nouvelle Vague. J’ai ensuite découvert le cinéma moderne avec In The Mood For Love en 2000, qui a amené un cinéma plus radical et plus formel, de Hou Hsiao-hsien à Jia Zhangke et Apichatpong Weerasethakul. Mais j’adore le cinéma américain aussi, celui de Paul Thomas Anderson, de James Gray ou de Quentin Tarantino. Tous les cinéastes qui inventent des formes m’inspirent et c’est le truc le plus difficile aujourd’hui. Je le vois, chacun arrive avec ses influences.

 

« L’une des difficultés pour moi, c’est d’arriver après l’histoire du cinéma et de trouver un endroit pour inventer une forme. »

 

Comment se défaire de ces modèles ?
C’est une question qui m’occupe. Si je suis un peu critique avec mon travail, je dirais que je peux voir dans Le Sommeil d’or et dans Diamond Island une trace presque trop littérale des influences. Je sais pourquoi je l’ai fait. Parce que ce sont des films que j’ai tournés au Cambodge, un pays qui a perdu la mémoire de son cinéma. Plus que ça : qui a été empêché dans le développement de son cinéma à cause des Khmers rouges, qui est le sujet de mon premier film. Donc faire appel à des influences du cinéma moderne asiatique avait du sens par rapport au fait de tourner dans un pays qui a perdu un peu son histoire des images. Mais dans Retour à Séoul, par exemple, qui est un film qui parle d’identité, notamment culturelle, ça m’a intéressé de diluer le geste référentiel et je me suis senti plus libre dans ce film-là.

La thématique du passé et des racines est présente dans certains de vos films. Qu’est-ce qui vous inspire dans ce sujet ?
On fait des films avec qui on est. Ce que je trouve drôle avec le recul, c’est que parfois, on s’attache à des idées pour des raisons souterraines qui poussent à assumer des intuitions. Après, dans le processus de création, on se rend compte que ce sont des choses très intimes et presque autobiographiques. Je ne pensais pas, en faisant Retour à Séoul, que c’était un film qui allait me raconter. Je suis entre deux cultures, je ne connaissais absolument rien du Cambodge jusqu’à mes 25 ans et, aujourd’hui, j’y passe plus de 50 % de mon temps. Oui, ce sont des thématiques qui me sont chères. C’est même plus que ça : c’est moi.

Quels sont vos projets actuellement ?
J’écris un peu. J’attends le post Cannes. Le fait de voir deux, trois, voire quatre films par jour, me permet d’explorer les images du monde entier, de cinéastes émergeants ou reconnus. Voir ces propositions, ces formes et toute cette variété, en tant que cinéaste, ça stimule énormément. En plus, on se positionne en tant que membre du Jury. C’est l’activité idéale pour clore le chapitre de cette année qui a suivi Retour à Séoul et commencer le prochain film. Ce maelstrom d’images pendant douze jours va être pour moi le moment clé qui va me permettre de basculer sur la création de nouvelles formes.