Rencontre avec Denis Ménochet, membre du Jury des Longs Métrages

Denis Ménochet - Jury Longs Métrages - Interview © Maxence Parey / FDC

C’était l’an dernier. Denis Ménochet faisait sensation dans As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, présenté à Cannes Première. Il y confirmait définitivement son style, puissant dans le corps, le regard et l’émotion, déjà affirmé dans Jusqu’à la garde et Grâce à Dieu. L’acteur-artisan comme il aime se définir revient cette année dans le Jury présidé par Ruben Östlund et nous révèle son approche du métier.

À quel moment avez-vous pris conscience que vous étiez capable de transmettre des émotions ?
Je commence simplement maintenant à m’en rendre compte, à force de rencontrer le public sur des films qui provoquent des émotions. Surtout depuis Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, Grâce à Dieu de François Ozon et, plus récemment, Les Survivants de Guillaume Renusson. Ça me fait réaliser que mon artisanat fonctionne. J’ai hâte de retrouver des partitions, des matériaux pour essayer de façonner ça à nouveau, tout en oubliant que ça a existé. On ne peut pas être défini par ce qu’on a fait avant. Il faut détruire le bateau avec lequel on est arrivé sur une île et en construire un complètement nouveau.

Que mettez-vous en place afin de préparer au mieux un rôle ?
Souvent, je choisis une chanson pour me raccrocher à l’histoire. Par exemple, entre les prises, pour ne pas perdre la concentration, ou essayer de créer des souvenirs à mon personnage. Et quand je la réécoute, ça me ramène à cette réalité des circonstances imaginaires du film. C’est aussi un état créatif. Plus on est imprégné du scénario, plus on ressasse. D’un seul coup, autour de vous, vous remarquez des choses qui y sont connectées d’une manière assez incroyable. Même si ce n’est pas ce que vous mettrez à l’écran, c’est une étape de plus pour aller la vérité de l’histoire.

Quel a été le plus gros défi de votre carrière ?
Jusqu’à la garde. C’est le rôle qui a été le plus difficile à aller chercher. Xavier Legrand m’a énormément aidé, Thomas Gioria également, l’acteur avec qui je jouais. Mais explorer ce côté très sombre, sans m’en plaindre, a été difficile.

Avant, pendant et après le tournage ?
Après, oui. Au cinéma, il n’y a pas de conséquences. On ne va pas en prison parce qu’on braque une banque. Mais quand on joue, quand on laisse aller son corps vers une violence aussi extrême, le corps ne fait pas la différence entre le jeu et la réalité. Donc par moments, après le tournage, je me suis rendu compte que mon corps était allé loin dans la frustration et la colère, et que je ne pouvais pas garder tout ça dans la vie de tous les jours.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans votre expérience chez Ari Aster, dans Beau is Afraid ?
C’est une chance incroyable de faire partie d’un tel cinéma parce que, comme Rodrigo Sorogoyen ou Renusson, ce sont des jeunes qui ont absorbé un cinéma d’une manière très profonde. Ils explosent les genres parce que pour eux, il n’y en a pas vraiment. Ari Aster est un génie non seulement de l’image mais aussi de l’histoire. Pour ce film-là, je le dirais en anglais : He made a movie about fear but in a fearlessly way. Je trouve ça magnifique, surtout dans le paysage américain. La vraie chance de ce film, c’est de voir des gens de 20-30 ans dans les salles. Ça faisait 20 ans que je n’avais pas vu ça, depuis Tarantino, et c’est un privilège.

Et maintenant, qu’est-ce que vous préparez ?
Rien du tout. Je me donne tellement corps et âme que c’est épuisant. Et j’attends d’avoir une partition et un metteur ou une metteuse en scène qui m’emmène quelque part pour me challenger. J’ai l’impression d’avoir été beaucoup trop exposé et qu’il faudrait disparaître pour que les personnages et les histoires s’en trouvent enrichis. Moins on est présent, plus j’ai l’impression que le public entre facilement dans l’histoire et dans le personnage. Peut-être que je me trompe mais c’est une sensation très forte pour moi.

Les personnages doivent primer sur l’acteur…
Toujours. Parce que c’est mon travail, mon artisanat. Quand on vient me parler dans la rue, j’ai un peu l’impression de faire une bonne baguette. « Elle est vraiment bonne votre baguette ! On va revenir. » Rien que ça, ça me suffit. J’avance avec le doute, j’ai un physique particulier, je ne sais pas si ça va durer ou pas, mais je garde ce cap-là. Je me suis promis de le garder.

La célébrité et les effets de mode vous font peur ?
Je suis persuadé qu’il faut faire profil bas, écouter les gens quand ils viennent vous parler dans la rue. Mais il faut aussi cultiver une sorte de mystère. Pas dans l’ego, juste au service du spectacle, au service du cinéma, pour que ça en vaille la peine. Les mecs qui vont prendre une baby-sitter, s’embêter à trouver une place de parking ou s’engueuler, ils vont venir s’asseoir, et là, boum, ils passent un super moment parce qu’on a bien travaillé, avec toute l’équipe.