Rencontre avec Paula Beer, membre du Jury Un Certain Regard

Paula Beer - Photocall © Gisela Schober / Getty Images

Comédienne multilingue, Paula Beer a travaillé avec un nombre impressionnant de cinéastes pour un si jeune talent : Chris Kraus, qui lui a donné ses premières récompenses, mais aussi Andreas Prochaska, Theresa von Eltz, François Ozon et surtout Christian Petzold, qui l’a dirigée dans trois films. L’actrice allemande revient sur sa méthode de travail.

Vous avez débuté très jeune au théâtre et cette expérience a semble-t-il été déterminante dans votre apprentissage. Avec le recul des années, quel impact a encore cette période fondatrice sur le jeu de l’actrice que vous êtes aujourd’hui ?

J’avais huit ans quand je suis montée sur scène pour la première fois et quatorze ans lorsque j’ai tourné mon premier film. Jusque-là, je me produisais au Friedrichstadt-Palast, le grand théâtre de revue de Berlin. Je m’y rendais chaque soir en train après l’école. Cette expérience m’a enseigné une manière de travailler, mais aussi que le métier de comédien doit avant-tout rester un jeu. C’est pour cette raison que j’aime me perdre dans le monde imaginaire d’un film. La conséquence, c’est aussi que je ne ressens pas beaucoup la pression lorsque je suis sur un plateau, même quand j’incarne le rôle principal. Je me dis toujours que si le résultat n’est pas à la hauteur, c’est parce que le réalisateur a mal choisi son actrice ! Avant le tournage, en revanche, je suis toujours un peu nerveuse. Je me demande si je suis bien préparée. Mais lorsqu’il débute, je me sens libérée.

Comment choisissez-vous vos rôles ?

Quand je lis le scénario, j’ai besoin que l’atmosphère générale du film me parle. J’ai besoin d’être touchée émotionnellement et de ressentir quelque chose de profond envers le personnage qu’on me propose d’interpréter. J’ai vraiment besoin de savoir que mon cœur va se connecter avec le sujet, mais aussi, bien-sûr, avec le réalisateur ou la réalisatrice et les autres comédiens. Faire un film nécessite de passer beaucoup de temps sur un plateau et j’aime m’assurer que je vais être entourée de collaborateurs avec lesquels je sais que tout ira bien. Je n’ai pas forcément besoin que les traits de caractère de mon personnage épousent les miens. En revanche, si c’est un profil de personnage que j’ai déjà interprété, le projet m’intéresse moins. Je ne tourne en général jamais plus de deux films par an. Pour moi, s’ouvrir à un personnage demande beaucoup d’énergie. Je donne tout ce qui m’anime à mes personnages.

Comment vous préparez-vous aux tournages ?

Ce n’est jamais à chaque fois totalement le même processus, mais je commence toujours par disséquer de façon très simple le scénario pour avoir une bonne vue d’ensemble. Je m’intéresse à sa structure pour ne pas oublier une scène et savoir où va mon personnage. Cela m’aide beaucoup à ne pas me perdre dans l’histoire au moment du tournage. Ensuite, tout dépend si le rôle nécessite un apprentissage particulier. Découvrir le costume que je vais porter et la coiffure que je vais arborer m’aide également beaucoup pour doter mon personnage d’une gestuelle qui lui est propre. J’apprends mes répliques par cœur lorsque je prépare les scènes.

 

« Je ne ressens pas beaucoup la pression lorsque je suis sur un plateau, même quand j’incarne le rôle principal. »

 

Quelle importance accordez-vous au langage du corps lorsque vous êtes sur un plateau, devant la caméra ?

C’est très important pour moi de faire vivre mon personnage au travers de mon corps, mais cela demande beaucoup de travail. Je crois que nos corps ont une façon de bouger qui épouse naturellement nos émotions. Nous ne pouvons modifier ce processus instinctif qu’en travaillant beaucoup et en éprouvant les émotions de nos personnage au plus profond de nous. Pour cela, il faut réussir à leur faire une place, à vider notre esprit. Ce travail m’aide beaucoup à incarner mon personnage. C’est une démarche essentielle pour moi.

Qui, de la femme ou de l’actrice, a le plus apporté à l’autre ?

Si j’ai accepté tous ces rôles, c’est parce que j’ai été prête à les accueillir en tant que femme. Parfois, lorsque j’accepte une proposition, je me dis qu’à d’autres moments de ma vie, je l’aurais probablement repoussée. C’est une histoire de synchronisation, de chemins qui se croisent dans la bonne temporalité ! Il y a parfois des rôles que je trouve totalement faits pour moi. Et parfois, c’est la personne que je suis qui colle parfaitement au rôle !

Est-ce qu’un acteur ou une actrice vous inspire particulièrement ?

Sans dire qu’il s’agit pour moi d’une source d’inspiration constante, j’ai toujours été très impressionnée par les performances de Meryl Streep. Pour moi, c’est la reine ! Elle a une manière de tout donner à ses personnages qui est formidable.

Vous avez beaucoup travaillé avec Christian Petzold. Quels aspects de votre jeu vous a-t-il permis de développer ?

La manière de travailler de Christian est très singulière. Avec lui, chaque membre de l’équipe a l’impression d’avoir tout le temps du monde pour réaliser le film. Il n’injecte jamais de pression dans ses rapports avec les comédiens et nous laisse une liberté totale de mouvement. Le résultat, c’est que nous arrivons à nous concentrer sur l’instant présent. À force de travailler avec lui dans ces dispositions, j’ai réussi à vraiment libérer mon jeu. Nous avons bouclé notre troisième tournage ensemble et j’ai une totale confiance en lui.